De A$AP Rocky à Lil B ou Clams Casino, le cloud rap a donné un nouveau souffle au hip-hop.
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Musique

Le rap dans les nuages

Adoré et détesté pour sa désinvolture extrême, le cloud rap a donné un nouveau souffle au hip-hop. Une inspiration encore présente aujourd'hui. D'A$AP Rocky à Lil B, retour sur cet ovni.
Écrit par Eddy Lawrence
Temps de lecture estimé : 6 minutesPublished on
Pour son troisième - et très attendu - album, A$AP Rocky annonce déjà des collaborations très expérimentales avec des artistes comme T-Pain, Chief Keef et DRAM. Des styles très loin de ses racines : le cloud rap.
Enfant mutant du hip-hop, ce sous-genre produit des sons aussi nappeux que le Purple Drank en combinant chillwave, trap et emo rap.
Le cloud rap est l'une des micro-scènes les plus influentes et les plus décriées. Un genre qui a rassemblé presque par accident nerds, gangstas, introvertis, potes de soirées et pop stars.
Son succès a fait passer des artistes comme A$AP, Lil B, et l'incontournable producteur Clams Casino dans la jungle mainstream.
Paradoxal pour une scène fuie au départ par les rappeurs de référence. Pourtant, même sous le feu des critiques les plus acerbes de l'industrie, le cloud rap a finalement réussi sa percée dans le monde du hip-hop.
Retour sur le début de ce mouvement et son histoire. Jusqu'à sa fin ?
La mythique boîte à rythmes Roland TR-808 Rhythm Composer est la base pour un son cloud rap.

Roland TR-808

© John Smisson

Quelles sont les caractéristiques sonores du cloud rap ?

À la fin des années 2000, dans le Sud des États-Unis, les sons hip-hop commencent à muter, inspirés par les sons trap d'Atlanta, de Houston et de Memphis. Eux-mêmes plongés dans un grand bain de codéine frappés des rythmiques cultes de la machine Roland TR-808.
Lents et visqueux, les flows sont appuyés par des caisses claires à double temps et des kicks de trap. Les beats sont ensuite superposés de différentes strates aussi psychées que nappeuses. Le cloud rap ne s'écoute pas, il te hante.

D'où viennent ces sons bizarres ?

Incontestablement, le cloud rap est l'abri anti-atomique de tous les samples les plus étranges. Une sorte de weirdwideweb du rap. Tu peux passer de la J-pop des jeux vidéos aux bandes sons des animes sans aucun soucis. Les musiques new age et ambient, traditionnellement délaissées par le hip-hop, deviennent un terrain de jeu avec le cloud. Grand classique, RETAILXTAL de Friendzone sample les Selected Ambient Works Vol d'Aphex Twin.
Les producteurs de cloud rap aiment faire de la musique à partir de rien. Clams Casino le dit, il "est attiré par les textures et leur sound design". "Quelque chose qui sonne comme une vieille cassette avec une sorte de sifflement dessus. Ou comme quelque chose d'enregistré dehors où tu entendais tout ce qui se passe autour en arrière-plan" balance le producteur italo-américain.
Plutôt que de payer des fortunes en royalties, Clams enregistre directement ses samples. Comme dans All Nite où tu peux entendre les petits oiseaux de son jardin.
Le producteur de cloud rap, Clams Casino a samplé des rossignols sur son morceau All Nite

Clams Casino a samplé des rossignols sur son morceau All Nite

© John Smisson

Pourquoi tout le monde monde rageait sur le cloud rap ?

Si le travail sur le sample montre une certaine recherche, voir richesse, les textes eux représentent le néant absolu. Les rappeurs cloud s'en battent littéralement les reins. Quitte à gratter des paroles en dix minutes sur un téléphone et à improviser derrière sur le hook.
D'un morceau à l'autre on a donc le schéma : sexe - drogue - sexe - drogue. Argent beaucoup aussi. Exception, le sad boy suédois Yung Lean. Lui préfère parler de sa solitude et de sa dépression. Du genre : "Sad boys they be shining, shining/Focus on whining, whining" de Lightsaber/Saviour.
Pour varier le plaisir et donner plus de cachet, le cloud rap reprend énormément de samples de voix de femmes. Imogen Heap vous connaissez ? On peut dire, sans prendre trop de risque, qu'elle est la seule chanteuse au monde encore moins hip-hop que Dido. Et pourtant l'Anglaise a été samplée sur énormément de sons.
Les artistes s'en régalent, comme Lil B, et A$AP Rocky sur Demon. Pendant ce temps Illest Alive de Main Atrrakionz la joue plus safe et utilise des passages de la Batchelorette de Björk.

Comment le cloud rap s'est-il fait un nom ?

La plupart des scènes hip-hop tendent à être des produits de leur environnement qui puisent dans l'identité musicale de la région où les artistes se sont rencontrés. Un partage d'influences, de collaborations et parfois aussi de divergences.
Le cloud rap vient d'endroits très différents mais sa maison mère, c'est SoundCloud. Dans sa grande époque, producteurs et MCs l'utilisaient comme une plateforme pour découvrir et partager des créations.
Sur la plateforme orange, pas besoin de tourner de clip ou de créer des visuels, tout va plus vite. SoundCloud détrone alors YouTube et devient un incubateur underground de hip-hop. 
De là, des noms comme Lil Tracy, Lil Peep (RIP) et leur collectif Goth Boi Clique commencent à prendre de plus en plus de lumière. EN 2010, Walker 'Walkmasterflex' Chambliss invente le terme 'cloud rap' dans un post sur son blog.
Il décrit alors Squadda B de Main Attrakionz comme le "roi du cloud rap". Une référence à une interview de Lil B qui décrit sa musique en montrant une image CGI d'un château flottant dans les nuages et dit : "C'est ce genre de musique que je veux faire."
Lil B a imaginé un chateau flottant dans les nuages pour décrire ce qu'est le cloud rap.

Le cloud rap expliqué en une image

© John Smisson

Qui étaient les pontes du cloud rap ?

Bloggeurs et critiques musicaux passionnés de musique cloud ont d'abord réunis Clams Casino, Lil B, A$AP Rocky et son crew A$AP Mob, ainsi que Yung Lean, et Main Attrakionz.
Le premier chef d'oeuvre du cloud rap revient sans doute à I'm God de Lil B. Il introduit le credo de la scène et le slogan "based" : toujours rester fidèle à soi-même.
Mais le premier son à capter l'attention mainstream reste Peso d'A$AP Rocky. Pièce centrale de sa mixtape Live.Love.A$AP, le morceau a été choisi par une radio influente de hip-hop, Hot97, alors qu'il n'était pas encore signé.
À l'opposé, le puriste de SoundCloud, Bones, s'est forgé une énorme fanbase en refusant de signer sur un label ou de se faire payer pour sa musique.
La mixtape Live.Love.A$AP d'A$AP Rocky a été un moment clé dans le développement du cloud rap.

Live.Love.A$AP : la mixtape d'A$AP Rocky

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Qui le cloud rap a-t-il inspiré ?

D'abord méprisé par les grands noms de l'industrie, l'influence du cloud rap se ressent maintenant des tréfonds de l'underground à la plus haute tour d'ivoire du mainstream. Des artistes comme Rihanna, Beyonce et The Weeknd s'en sont inspirés. RiRi est même apparu dans une vidéo de Fashion Killa produit sur Friendzone par A$AP Rocky.
Mac Miller a franchi le cap aussi pour le meilleur en explorant le cloud sur son album précurseur : Watching Movies With The Sound Off. Plus récemment, les stars du R&B SZA et Miguel ont amenés des sonorités du cloud rap dans de nouvelles directions neo-soul. D'autres résistent et continuent comme XXXTentacionLil Pump, et Smokepurp et gardent vivant l'esprit cloud rap, mais avec des sons bien plus énervés.

Où sont les fondateurs du cloud rap maintenant ?

A$AP n'est pas le seul membre du cloud rap a avoir changé de direction. Le membre du Raider KlanXavier Wulf, nous a régalé en bossant avec Skepta. Le collectif emmené par le rappeur SpaceGhostPurrp a donné naissance à une nouvelle chimère du cloud rap, le phonk, lançant la carrière de la star, Lil Uzi Vert.
Et sinon Danny Brown a récemment décrit Lil B comme "le David Bowie du hip-hop". Son flow en slo-mo est une influence évidente pour des mecs comme Future, ou le protégé de Kanye, Desiigner, qui est aussi le styliste spirituel de Young Thug. Lil B a aussi atteint le Top 10 du classement US New Age avec son premier album ambient (l'un des 50 qu'il a sorti depuis 2009).
Cloud Rap : Le rappeur Danny Brown a récemment décrit Lil B comme "le David Bowie du hip-hop".

Lil B : le David Bowie du hip-hop

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