Musique
La complicité entre Kaaris et Kalash Criminel fait réellement plaisir à voir. « On a fait le taf, on a kiffé, et ça se ressent dans la musique », résume Kalash Criminel. Que ce soit en studio, où leur excellente entente artistique a abouti sur l’un des albums-évènements de ce début d’année 2022, ou en interview où ils se comprennent d’un simple regard, leur duo est une ôde à la bonne humeur. L’alchimie entre les deux artistes est palpable tout au long de l’album « SVR » : qu’il s’agisse de purs morceaux hardcore (« C’est nous les O.G », « Les Abymes »), de titres aux sonorités plus douces (« Sur le banc », « Shooter ») ou de morceaux aux accents club (« BBL »), les deux Sevrannais ont trouvé un équilibre idéal entre la violence de leur univers et la volonté de produire un album à la hauteur de leurs discographies respectives.
À l’écoute, j’ai eu l’impression d’un album très instinctif, comme si vous étiez entrés en studio et que vous aviez laissé la magie opérer.
Kaaris : Je pense qu’on peut dire ça. On peut dire ça, Crimi ?
Kalash Criminel : Ouais, c’est complètement ça. On faisait tout au studio : l’écoute de la prod, le choix des thèmes, l’écriture… ensuite on rentrait chez nous. Mais oui, c’est clair que tout s’est fait en studio.
Kaaris, je t’ai senti plus libéré sur ce projet. Est-ce que le fait de travailler en binôme t’a libéré d’une certaine forme de pression ?
Kaaris : Oui et non. Sur mes différents projets, je n’ai jamais été attaché. Je suis toujours très libre de ce que je fais, personne ne me dicte quoi que ce soit. Je ne sais pas, en vrai, je ne peux même pas dire que je me suis lâché, étant donné que je me lâche dans tous mes projets. Après, c’est évident que c’est une autre forme de travail. Se retrouver avec Lash-Ka, c’est forcément des méthodes différentes. C’était plus fun, plus bon enfant.
Kalash Criminel : Y’avait une trop bonne ambiance.
Kaaris : C’est clair, y’avait une bonne ambiance. C’est vraiment différent de l’enregistrement d’un album tout seul. En quoi tu me sens plus libéré ?
Surtout dans la direction artistique, en fait. J’ai le sentiment qu’il y a moins de calcul, plus de spontanéité.
Kaaris : Je n’ai jamais été dans le calcul. Je fais ce que j’aime, ce qui me plaît, je ne me pose pas trop de questions. Peut-être que la présence de Kalash Criminel a apporté une dynamique différente, notamment sur les morceaux plus sombres. C’est des choses que j’aimais bien faire à l’époque de « Double Fuck », j’y suis revenu sur « SVR ».
On sent que Kalash Criminel a tiré dans cette direction, effectivement, et que les titres plus ouverts viennent de toi.
Kaaris : C’est vrai que quand on était sur des morceaux sombres et que j’entendais Lash-Ka démarrer dessus, ça me motivait beaucoup.
« Je pisse sur la lettre de Napoléon écrite à Joséphine ». Pisser sur Napoléon, je comprends, mais on parle quand même d’une lettre d’amour, Kalash Criminel.
Kalash Criminel : (rire de Marcel Desailly) C’est trop méchant, c’est trop méchant !
Kaaris : Mais Napoléon, de toute façon, c’est un méchant !
Kalash Criminel : En vrai de vrai : le son était trop méchant, il fallait être super méchant. En plus j’enchaîne avec « je tue Joséphine avec une gorge profonde », c’est trop méchant. « Les Abymes », c’est un de nos sons préférés parce que… ah, c’est juste trop méchant ! (rires)
J’ai une théorie dont j’aimerais qu’on discute : « SVR » n’est pas ton premier album en commun. Avant lui, « Z.E.R.O » et surtout « Or Noir » étaient quasiment des projets en commun avec Therapy. Qu’est-ce que tu en penses ?
Kaaris : Non, ce n’est pas pareil. C’est vrai que Therapy était à la production et à la réalisation, mais il n’a écrit aucun texte. Bon, en même temps, Kalash n’écrit aucun texte non plus ! (rires) Mais dans le fond, tu n’as pas tort, on peut dire que « Or Noir » est un album commun avec Therapy, ça ne me dérange pas du tout.
C’est moins le cas sur « Z.E.R.O » ?
Kaaris : Beaucoup moins parce qu’il n’était pas en studio. Il envoyait et écoutait les prods de loin, il me disait ce qu’il aimait bien ou moins bien, mais il n’était pas présent physiquement. Pour « Z.E.R.O », j’étais en studio tout seul. « Or Noir », oui, j’étais en studio avec lui H24. De là à dire que… oh, si, t’as raison, c’est son projet, c’est notre album à nous deux, on l’a fait à deux. Mais au final, c’est moi qui ai écrit les textes, c’est moi qui ai posé.
Therapy a un rôle dans la direction artistique de « SVR » ?
Kaaris : Non, il est juste présent sur « T’Challa », « Tu dois des sous » et « Apocalypse ». Mais il a participé en donnant des idées ou simplement son avis, parce que c’est quelqu’un qui aime la musique. Il était là, il soutenait, il donnait de la force, tranquille. Après, s’il avait fait de la direction artistique, on t’aurait dit : « Oui, il a fait de la direction artistique », on n’a aucun problème avec ça. Mais ce n’est pas le cas.
Kalash Criminel, tu as toujours pas mal de phases engagées dans tes textes, même si c’est forcément moins le cas que sur tes albums solos.
Kalash Criminel : Moi, je suis quelqu’un d’instinctif. J’écris dans ma tête, donc ce que je pense, je le pose direct. Au moment de l’enregistrement, je n’avais pas forcément ces thèmes en tête, je n’avais pas ce genre d’idées. Ce n’était pas l’ambiance, aussi, je pense que la bonne ambiance en studio fait que j’ai posé différemment, que ça paraît moins engagé. Y en a un peu moins que sur « Sélection naturelle » mais y en a toujours. C’est un peu ma marque de fabrique.
Est-ce que le fait d’avoir travaillé ensemble sur un album complet vous a permis de vous aérer artistiquement ? Qu’est-ce que cette expérience de travail en binôme peut vous apporter sur vos prochains projets solos respectifs ?
Kalash Criminel : Ça apporte de l’expérience en plus, forcément, parce que c’est quelque chose de nouveau. Je suis sûr qu’on va tous les deux être encore meilleurs après ça. Et surtout, ça nous a encore plus soudés. On était déjà soudés de fou mais le fait de se voir plus souvent, d’être tout le temps en studio ensemble, d’échanger sur beaucoup de sujets, ça donne de la force.
Parlons du morceau « BBL » et de sa prod démarre comme un morceau de drill, avant d’accélérer, de se transformer en morceau un peu club, et elle finit sur du violon.
Kalash Criminel : Ouaiiiis, c’est incroyable. C’est du jamais vu ça !
La prod était telle quelle quand vous l’avez reçue ou elle a été faite en fonction de vos indications ?
Kalash Criminel : Elle était comme ça. Kaaris a fait un refrain de fou-malade. Quand il a posé le refrain, j’étais choqué, j’ai dit : « Là, on tient un gros truc ». À la base, l’album était fini, et Kaaris m’a dit qu’il manquait un truc : « Je ne e sais pas ce que c’est, mais il manque un truc ».
C’est le dernier morceau enregistré ?
Kalash Criminel : Ouais, c’est le dernier morceau enregistré. En fait, on avait déjà des morceaux dans tous les formats, plus ou moins, mais c’est vrai qu’il manquait un son club. C’est là qu’il m’a sorti « BBL ». Quelle dinguerie !
Quand on reçoit ce genre de prod, très atypique, comment on l’appréhende ?
Kaaris : Ah, elle est technique, cette prod. J’aime le passage qui fait la transition entre la drill et le club. Il fallait trouver un truc, un refrain, mais à partir du moment où t’aimes une prod, tu te lances. Tu cherches la bonne manière de l’aborder.
Elle me rappelle un peu « Tchoin » dans le changement de rythme.
Kaaris : C’est vrai qu’il y a aussi un changement de rythme dans « Tchoin », t’as raison, c’est peut-être ça qui m’a parlé finalement. « Tchoin », c’était une semi-révolution, on va dire. Il n’y avait pas ce genre de morceau, avec ce type de transition rythmique, à l’époque. « BBL », c’est encore un autre genre, avec les sonorités drill, mais il est vraiment bien ce morceau, il est beau gosse.
C’est mon morceau préféré de l’album.
Kaaris : Ah ouais ? (réellement surpris)
Kalash Criminel : Y en a plein qui disent ça !
Kaaris : Le couplet de Kalash est lourd aussi !
C’est surtout le morceau qui m’a le plus surpris. Quand l’instru a démarré, je ne savais pas où je mettais les pieds. L’autre morceau qui m’a pris à contre-pied, c’est « Shooter ».
Kalash Criminel : C’est fait pour ça ! (rires) C’est le genre de format pas facile à aborder mais qui finit par rentrer au bout de quelques écoutes. Il fallait faire ce genre de morceau, c’est un album de 15 titres, il ne fallait pas que ce soit trop redondant. On est des artistes, Kaaris a déjà fait des morceaux comme « Tchoin », j’ai déjà fait des morceaux chantés, on ne pouvait pas faire que du hardcore, même si c’est ce qu’on aime faire. Dans un album, il faut savoir proposer de tout. On a un public assez large, il faut pouvoir plaire un peu à tout le monde. Des titres comme « Shooter » ou comme « Sur le banc », c’est important de les faire.
Ce sont des morceaux qui aèrent un peu la tracklist. 15 titres de pur hardcore, ça aurait peut-être été plus difficile à digérer. D’ailleurs, est-ce que vous avez gardé tous les morceaux que vous avez enregistrés ou certains sont passés à la trappe ?
Kalash Criminel : On en a laissé certains de côté parce qu’il fallait en choisir 15, mais il y a des morceaux qui sortiront peut-être autrement, que ce soit sur un projet de Kaaris, sur un projet à moi ou sur une réédition de « SVR ».
Vous avez fait l’album en très peu de temps. Est-ce qu’avec plus de temps à disposition, vous auriez travaillé différemment ? Il y a peut-être des points que vous auriez aimé améliorer ?
Kaaris : C’est dur, mais tout est toujours améliorable. Tu peux toujours faire mieux dans la vie, mais on a fait ce qu’on avait à faire.
Kalash : Surtout qu’on l’a fait en très peu de temps. On a fait le taff, on a kiffé, et ça se ressent dans la musique.
Selon vous, qu’est-ce qui fait qu’il y ait eu si peu d’albums communs entre têtes d’affiches dans le rap français ?
Kaaris : Le temps est venu ! Y’a déjà Freeze Corleone avec Ashe22, mais y’en aura d’autres.
Kalash Criminel : Gims et Dadju !
Kaaris : On est contents d’être parmi les premiers, mais ça va se faire de plus en plus souvent.
Kalash Criminel : C’est bien, ça permet de réunir deux univers artistiques, c’est lourd. Après, tu connais, la France c’est les States, mais avec du retard. Ce qui se fait là-bas, on finira par le faire. Et aux States, les albums communs, ça se fait beaucoup.
« SVR » est destiné à rester un one-shot ou la porte n’est pas fermée ?
Kaaris : Pour l’instant, c’est un one-shot, mais pourquoi pas ?
Kalash Criminel : Tout est possible.
Kaaris : De toute façon, on des potos, donc si dans quelques années on a envie d’en refaire un, on peut.