Musique
Et d'abord c'est quoi ? C'est ce petit rectangle, le plus souvent noir et blanc, que l'on retrouve en bas à droite des pochettes d'albums, afin d'avertir l'auditeur que ce qu'il va écouter peut heurter sa sensibilité. Pour comprendre son impact, il faut remonter au début des années 1980, aux États-Unis. Si la loi veille déjà à la bonne régulation des films, elle ne prévoit rien à l'époque pour la musique. Formé à Washington à l'initiative de quatre femmes de sénateurs américains, le PRMC – pour Parents Music Resource Center – se donne alors pour mission de protéger les enfants des dérives de la musique américaine qui sont : 1/ la violence 2/ le sexe 3/ la drogue.
Nous sommes en 1985, le rap en est encore à ses balbutiements, du moins commercialement. Lorsque le PRMC dresse une première liste de quinze chansons à bannir, les fameux « Filthy Fifteen » (seulement 15 morceaux, dur à imaginer aujourd'hui...), les cibles sont essentiellement des groupes heavy metal à qui l'on reproche des penchants haineux, sataniques ou suicidaires, ainsi que Prince ou Madonna, pour leurs allusions sexuelles dans leurs paroles. Après avoir auditionné des artistes devant le Sénat et lancé des alertes à travers tout le pays, le PMRC propose une signalétique bancale inspirée de l'industrie du film : « V » pour la violence, « X » pour le sexe, « D/A » pour la drogue et l'alcool, et « O » pour occulte. Le projet de loi n'aboutira pas mais face à la pression médiatique, une vingtaine de labels flanquera les albums de leurs artistes de la mention « Explicit Content ».
C'est en 1990 que le logo tel qu'on le connaît aujourd'hui fait son apparition. D'abord « Explicit Lyrics », puis « Parental Advisory : Explicit Lyrics », il deviendra « Parental Advisory : Explicit Content » trois ans plus tard. La légende veut que le premier album de rap ayant porté la mention fut « Rhyme Pays » d'Ice-T sorti en 1987, époque où le sticker n'existait pas encore. Pourtant, dès 1985, les premières cassettes du rappeur Too $hort contenaient la grossière mention sur leur artwork. C'est le groupe de Miami 2 Live Crew qui fit surtout les frais de ce climat anxiogène. En plus de leurs paroles et de leurs clips obscènes, leur album « As Nasty As They Wanna Be » causa une énorme polémique après qu'un disquaire fut arrêté pour en avoir vendu des exemplaires à des mineurs – en dépit du logo « Parental Advisory ». Certains États américains ne rigolaient pas avec ça.
Publicité inespérée pour le groupe, le fait divers cristallisa le débat sur la liberté d'expression dans le rap et 2 Live Crew sortirent victorieux de leurs démêlés avec la justice quelques années plus tard. Leur 4ème album, justement intitulé « Banned in the USA », fut techniquement le premier à arborer la forme définitive du logo en 1990. Avant cela, l'avertissement eut de nombreuses formes différentes, un rond, un rectangle ou juste une phrase précisant le degré de violence du contenu.
Si Ice-T adorait titiller les contradictions de ce nouveau système au fil de ses albums (sur le morceau "Freedom Of Speech" par exemple, il rappait : « Hey, PMRC, you stupid fuckin' assholes/The sticker on the record is what makes 'em sell gold./Can't you see, you alcoholic idiots/The more you try to suppress us, the larger we get »), l'utilisation du logo dérangeait surtout le « rock ». Ce n'est pas pour rien que Mary Morello, la mère du guitariste du groupe Rage Against The Machine, fut la plus véhémente dans la lutte pour la liberté d'expression à travers la campagne « Parents for Rock and Rap ». Le groupe de son fils posa même nu, les lettres PMRC marqués sur le torse, au festival Loolapalooza en 1993 pour protester contre cette censure infâme. Il est vrai qu'en dehors de l'atteinte évidente à la liberté d'expression, la vicieuse progression de cet avertissement, passant d'une simple option à une obligation implicite mettait une pression commerciale supplémentaire sur les maisons de disques, certaines chaînes de magasins comme Wal-Mart refusant de distribuer les albums marqués du sticker de l'infamie.
Ceux qui ont le plus bénéficié de cette promotion sont évidemment les rappeurs. Étroitement lié à l'explosion du gangsta rap au début des années 1990, le sticker semblait être une validation de la qualité subversive des albums. Dr Dre en profita en explosant tous les compteurs à la sortie de « The Chronic ». Le logo représentait l'assurance pour les ados de trouver de la musique qui correspondait à leurs attentes. L'interdit et la difficulté rendaient cette quête encore plus excitante – après la mésaventure 2 Live Crew, beaucoup de disquaires se méfiaient de leurs clients trop jeunes. Plus encore, un album rap ne comportant pas l'avertissement parental était clairement désigné comme suspect.
Étonnamment, le rap français des années 1990, pourtant très tourné vers les USA, a peu utilisé le logo sur les pochettes de ses albums. Que ce soit NTM, IAM, Assassin ou Ministere AMER, sûrement le groupe au langage le plus cru de l'époque. C'est au milieu des années 2000 que le logo (re)fait son apparition. Certains rappeurs qui ne l'utilisaient pas auparavant, comme Booba et Rohff, se sont mis à affubler chacune de leur sortie du logo « Parental Advisory ». Sur « Au-delà de mes limites », il est carrément plus voyant que le nom de Rohff au beau milieu de l'artwork !
Alors, que s'est-il passé à cette période ? Le genre s'est-il responsabilisé ? Les artistes voulaient-ils montrer patte blanche et s'éviter des poursuites ? À une époque où le téléchargement commençait à terrasser l'industrie et où le traditionnel logo n'avait plus aucune influence, c'est ce moment qu'ont choisi les artistes et labels pour l'utiliser en masse, en indé ou en major, trappeur comme iencli.
Aujourd'hui, si l'on passe en revue les derniers albums sortis en France, il n'y a toujours pas plus de règle ou de repère valable qu'il y a 15 ans. Outre-atlantique, les rappeurs l'incorporent sans problème à leur artwork, on le comprend aisément au vu de leur histoire, même si c'est simplement pour perpétuer une tradition superficielle. Mais en France ? PNL ont arrêté de l'utiliser. Kaaris l'a stylisé sur « Or Noir 3 ». Columbine ont choisi de le caler sur « Adieu, au revoir ». Malgré sa présence chez Def Jam, Koba LaD l'a lâché. 13 Block, Heuss L'Enfoiré et Ninho l'ont rendu presque invisible sur leur pochette. Au contraire de Hamza ou Zola où il saute aux yeux.
Pourquoi ? Est-ce que le logo a toujours de l'effet sur les auditeurs de rap ? Les parents y prêtent-ils encore attention ? Le débat est peut-être ailleurs, on pourrait avancer que cette quête d'authenticité récente va de pair avec la dématérialisation grandissante de la musique. Les rappeurs, pour ne pas perdre pied, aiment finalement se rattacher à des valeurs communes, des détails, tel un petit rectangle noir et blanc qui les rend « réels », et, ironie du sort, « validés ».
Dans les années 1990 et 2000, les maxis vinyles de rap sortaient avec trois versions : clean (pour les radios), explicit ou dirty (pour les vrais fans) et instrumental (pour les DJ et les nerds). Non content de nous empêcher de ranger notre musique comme on le souhaite, iTunes a conservé cette mention « EXPLICIT » pour nous protéger des morceaux dangereux. Ce petit E jadis rouge est devenu gris, preuve qu'il s'efface lui aussi, mais au fil des années, le PRMC semble finalement s'être lentement fondu sur iTunes et les autres plateformes. Serons-nous plus surveillés et évalués négativement par les algorithmes si la majorité de la musique que nous écoutons est classée dans la catégorie « Explicit » ? L'avenir nous le dira.