Musique
Le rap français a toujours eu le regard tourné vers les États-Unis. Normal, c'est là-bas qu'a été inventé, et continue de se réinventer, le hip-hop. Nos rappeurs ne se sont jamais d'ailleurs privés pour puiser l'inspiration auprès de leurs homologues américains, quand ils ne se sont pas contentés d'adapter tout simplement les lyrics de leurs meilleurs morceaux pour en proposer une version locale à destination du marché hexagonal. Parfois, il arrive que l'inverse se produise et que des airs de chez nous s'exportent quand des rappeurs ou producteurs d'outre-Atlantique décident de reprendre à leur compte des titres fabriqués en France. Mais qu'est ce qui poussent des Américains à remixer des titres français ? Est-il si facile de transformer un tube francophone en hit mondial ? Retour sur 10 fois où des rappeurs US ont tenté de kicker sur des instrus made in France.
Aya Nakamura - Djadja (Tory Lanez, 2019)
Impossible de passer à côté du disque de diamant d'Aya Nakamura ces derniers mois. Le morceau s'est infiltré partout, du bus de l’Équipe de France où les joueurs n'ont cessé de le chanter à tue-tête jusqu'au sommet des charts... aux Pays-Bas. Ce qui n'était pas arrivé pour une artiste française depuis Édith Piaf !
Ce n'était donc simplement plus qu'une question de jours, d'heures et de minutes avant que le raz de marée ne traverse l'Atlantique. Et c'est entre les mains de Tory Lanez que le morceau a atterri. Ok, le chanteur ne vient pas exactement des États-Unis mais du Canada, l'Ontario plus précisément. Comme Drake, mais la comparaison s'arrête là (ils ne peuvent pas se piffrer). Daystar Peterson de son vrai nom a évolué dans plusieurs villes avant de se lancer dans le rap il y a 10 ans (Miami, Atlanta, New-York) et d'ajouter un Z à un pseudo bien connu des visiteurs de YouPorn.
Avec la mixtape "International Fargo" parue en avril dernier, Tory a choisi de dead ça sur le morceau original produit par Le Side, en prenant le soin de laisser le refrain à Aya. Classe. Il a fait la même chose avec l'excellent "Toast" de la Jamaïcaine Koffee. Tout ceci découle t-il d'un échange épistolaire ou d'un simple repost ? Tory connaît-il l'identité de Djadja ? Seule Aya le sait.
Roméo Elvis & Angèle – J'ai vu (Young Thug, J.Cole & Travis Scott, 2019)
Quoi ? Le producteur canadien T-Minus, régulièrement classé dans les charts depuis 10 ans grâce à son premier hit ("How Low" de Ludacris) et à ses collabs avec Drake, se serait inspiré du producteur belge Le Motel ? En effet, et ça se passe sur le titre "The London" de Young Thug. À l'écoute des premières notes de piano du morceau, il n'y a pas de doute, ce sont les mêmes que sur "J'ai vu" de Roméo Elvis. L'utilisation du charley s'en rapproche aussi. Pour le reste, la version US est évidemment beaucoup moins spleenesque que l'originale, et le flow d'Angèle n'a rien à voir avec celui de Travis Scott, quoique, par moments...
Il va falloir attendre la jurisprudence whosampled.com pour être fixé mais le site Genius est déjà formel : il y a bien sample. Roméo Elvis, qui ne perd jamais une occasion de faire le malin, l'a même relayé sur son compte Instagram. Ce titre sortira sur GØŁDMØÜFDÖG, qui n'est pas la nouvelle marque de Tyler, The Creator mais le prochain album de Young Thug. D'ici là, qui sait, le titre en question sera peut-être rebaptisé "The Brussels".
Dadju - Reine (Juice WRLD, 2018)
Invité sur la radio Le Mouv en fin d'année dernière, le jeune rappeur de Chicago Juice WRLD avait bluffé tout le monde. Déjà, pas grand monde parmi ses contemporains n'aurait accepté ce défi lancé par Muxxa, le DJ-animateur du Mouv Live Club, ce soir électrique d'octobre 2018. Mais le jeune Juice l'a fait, et comment !
Sur une durée de 15 minutes, le rappeur s'est lancé en freestyle sur des sons français, vieux ou pas, à 90 BPM ou plus, sans les avoir jamais écoutés auparavant. La fougue a fait parler la foudre, et la plupart des auditeurs ont d'ailleurs carrément préféré le flow de l'Américain sur les titres de, au pif, NTM, Ninho ou Alonzo. "Djadja" faisait bien sûr parti du lot mais c'est "Reine", de Dadju, qui a ému les Internautes.
Passant d'un registre street à l'émo, Juice a tellement fait chialer sur cette reprise qu'il a demandé à ses followers le mois suivant, s'il devait sortir officiellement cette reprise. Pourquoi pas la baptiser Dadjuice ? Pas un hasard si son pote Young Thug le considère comme le meilleur freestyler à l'heure actuelle.
Niska - Réseaux (Quavo & Stefflon Don, 2018)
Avant "Djadja", il y a eu "Réseaux". On peut d'ailleurs dater la sortie de ce morceau comme un fait d'arme important dans l'histoire de France du rap : voilà 20 ans que les Américains ne savaient plus ce qu'il se passait ici et Niska leur a gentiment sonné les clochettes à tous. Les premiers à avoir succombé au grand tube de l'été 2017 furent donc Quavo de Migos et la rappeuse anglaise Stefflon Don (un mouv malin pour éviter les accusations de stalking en bande organisée).
En plus d'une dédicace désormais fameuse signée Craig David, l'hymne "Réseaux" a donc donné lieu à un remix officiel et même à un nouveau clip, toujours sur la prod originale de Pyroman. Alors même que Niska avait avoué être saoulé par son propre titre dès la semaine suivant sa sortie. Mais bon, on ne va pas bouder leur plaisir. Bon maintenant, quand est-ce que vous invitez Niska sur un titre les Migos ?
MHD - Afro Trap Part.7 (Major Lazer, 2018)
Carton de l'année 2015, la saga "Afro-Trap" lancée par le rappeur du 19ème arrondissement MHD a continué à régner sur le game français et africain tout 2016 durant. L'épuisement semble seulement avoir été atteint avec la "Part.10 (Moula Gang)", présente sur le deuxième album du rappeur, "19", publié fin 2018. Entre temps, le célèbre défricheur de tendances Diplo avait bien entendu mis le grappin sur le Parisien.
Plus qu'un simple remix, MHD et Major Lazer avaient réellement collaboré en studio sur cette reprise du tube "Afro Trap Part.7 (La Puissance)" sorti un an après l'original. On reconnaît d'ailleurs bien la griffe du trio américain avec cette trompette synthétique des enfers qui vient adouber le refrain. "La puissance, gros, c'est la puissance". 77 000 pouces levés contre 2 600 pouces baissées sur YouTube. Logiquement, la collaboration débouchera sur "Fuego", un morceau produit par Diplo présent lui aussi sur "19", avant que le renard de l'EDM ne s'occupe du cas Niska.
Oxmo Puccino - Vision de vie ($uicideBoy$ "Uglier", 2016)
Dans la catégorie sample étonnant, il y avait le "63" de Kaaris, trituré sur "Bloom" de Zomby, l'homme masqué de la dub techno anglaise. Joli. Mais dans un registre différent, qui s'attendait à entendre un duo horrorcore de la Nouvelle-Orléans rendre hommage à notre bon vieux Oxmo ? À la base, le titre "Vision de vie" est produit par les deux compères de Time Bomb, DJ Mars et DJ Sek, et est issu du premier album du rappeur, "Opéra Puccino", sorti en 1996.
20 ans plus tard en 2016, Aristos Petrou et Scott Arceneaux Jr. sortent un premier album non officiel, "Eternal Grey", en parallèle d'une infinie série de mixtapes intitulée "KillYour$elf". Le propos y est toujours aussi glauque, et du morceau d'Oxmo, ils en retiennent la charpente – on capte d'entrée la référence – pour le ralentir aux max et le transformer en "Vision de mort". Est-ce qu'il s'en souviennent encore ? Même pas sûr. La même année, ils avaient été accusés par le producteur canadien deadmau5 d'avoir plagié un de leurs morceaux sur "Antartica", qui est pourtant toujours en ligne aujourd'hui.
Booba - Repose en paix (Waka Flocka Flame "Foreign Shit", 2012)
Waka Flocka et la France, une vraie histoire d'amour. Lorsque l'Atlantien se pointe à Paris pour la première fois en 2012, qui est là pour lui faire visiter la capitale ? Pas grand monde excepté Clément Dumoulin d'Animalsons. Il faut dire aussi que le mec avait été condamné pour braquage et autres dérapages aux États-Unis. Aucun problème pour le beatmaker de Booba qui lui ouvre les portes de son studio dans lequel ils enregistrent 4 morceaux, dont une nouvelle version de "Repose en paix" où Waka remplace Booba. Tranquille.
Le titre sera baptisé "Foreign Shit" et sera même clippé, dans une vidéo où la ville-lumière se résume à trois choses : la tour Eiffel, des strip-teaseuses et une Audi A6 noire. Malheureusement, le titre ne figurera pas sur le troisième album du rappeur, "Triple F Life", au grand dame des Ratpis. Sûrement raillé après sa vision bling-bling de Paris, Waka reviendra l'année suivante tourner un clip plus authentique (signé Chris Macari) à Aulnay-sous-Bois avec une seule question en tête : où est l'argent ? ("Where It At"). En 2012 également, un certain Willy Northpole de l'écurie Ludacris avait rappé sur une instru de Booba, "Garcimore", et le morceau s'intitulait "Wheelchair Money". Toujours l'argent.
Stromae - Alors on danse (Kanye West, 2010)
En 2005, un mec en jogging dans un tunnel balançait sur un beat faible : "Faut qu't'arrêtes le rap". En 2009, l'Europe de la francophonie découvrait un petit génie du nom de Stromae. Présentée comme de la new New Beat (célèbre courant électronique belge) et appuyé par un clip très bruxellois dans l'âme, "Alors on danse" pulvérisait tous les records de platine. Quelques mois après la sortie de ce hit, Le Parisien révélait dans un article aussi bref que concis que Kanye West adorait Stromae. Cocorico ! Enfin non, même pas.
Reboostée pour les clubs, la nouvelle version de "Alors on danse" s'octroyait donc deux couplets d'un Kanye West peu inspiré ("And we still gonna sip Dom Perignon / And still gonna eat the filet mignon") et un troisième de Gilbere Forté (non pas un musicien de bossa nova mais un producteur/rappeur de Los Angeles). Le résultat ressemblait à du Major Lazer avant l'heure. Stromae en est-il ressorti gagnant ? Sûrement. Enfin tout ça c'était avant que le génie ne devienne "Formidable".
IAM - Demain c'est loin (Nas "The Second Coming", 2000)
Qui y'a t-il de plus opiniâtre que des fans d'IAM ? Des fans de l'OM ? Ouais, OK. Vous vous imaginez bien que lorsque tous les types ayant poncé "L'Ecole du micro d'argent" ont découvert que Nas, Nasir, Nasty Nas, Nas Escobar, le génial auteur de "Illmatic", avait repris l'instru de "Demain c'est loin", leur sang n'a fait qu'un tour. Publié officieusement sur un maxi puis sur une compile bootleg du rappeur du Queens, "The Second Coming" n'a jamais brillé sur un album et a surtout atteint les oreilles rapophiles des années plus tard via YouTube.
Peut-on parler de plagiat alors que Nas a eu la décence de ne jamais publier ce titre ? Non. De là à dire que c'est un des meilleurs morceaux de Nas, nous laisserons ça aux plus chauvins d'entre vous. On comprend en tous cas que ça puisse enquiquiner les plus virulents, vu que Nas avait préféré collaborer avec les Parisiens de NTM à l'époque ("Affirmative Action" en 1995) plutôt que de descendre salir ses Timberland dans les calanques.
MC Solaar - Qui sème le vent récolte le tempo (Gang Starr, 1991)
Jul et PNL ont beau affoler les chiffres et faire dire à tous les experts que ce sont eux qui dominent les débats, ils sont loin des 3 millions d'albums vendus par le père Solaar depuis ses débuts. Même "Géopoétique", sorti l'année dernière, a été certifié disque de platine. "Qui sème le vrai récolte le magot", c'est peut-être ce que Claude Honoré M'Barali s'est dit au moment d'écrire son premier album en 1991. Et ça n'a pas loupé.
De l'autre côté de l'Atlantique, GangStarr, formé par DJ Premier et Guru, s'empressa de livrer un nouveau mix du hit produit par Jimmy Jay. Il figurait sur la version maxi du single. Deux ans après, Guru et MC Solaar consolideront cette association avec "Le Bien, le mal" publié sur le premier album solo du new-yorkais, "Jazzmatazz vol.1". Livré avec son clip, réalisé entre Paris et New-York, il a ouvert la voie à d'autres rapprochements franco-américains au fil des années 1990, des collaborations plus distantes (X membre du Wu-Tang avec X rappeur d'ici), des remixes réussis (le "Simple et Funky" d'Alliance Ethnik par Prince Paul ou le "Passement de jambes" de Doc Gynéco par Mike Dean, DJ des Geto Boys !) mais rien à la hauteur de l'implication Gang Starr/Solaar. Un modèle de symbiose qui laisse encore rêveur aujourd'hui.