Rap français : Des mixtapes ont lancé des carrières ou des tendances pérennes dans le rap français
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Musique

Les 10 mixtapes fondatrices du rap français

De Cut Killer à IAM en passant par DJ Kost et DJ Poska : retour sur les mixtapes qui ont marqué l'histoire du rap français.
Écrit par Aurélien Chapuis
Temps de lecture estimé : 11 minutesPublished on
La mixtape est un support exclusif, très lié au hip-hop. Littéralement "cassette mixée", elle correspond totalement à son caractère urgent, indépendant et parfois brutal. C'est le vecteur de la débrouille, de l'imagination sans limites et de la musique sans formatage. La bande magnétique ne s'arrête jamais sur les baladeurs autoreverse et les morceaux s'enchaînent, soit sous la dextérité d'un DJ poussé par la performance, soit avec le copié-collé méticuleux de passionnés aux concepts novateurs.
Le rap français a vite adopté ce format cassette pour en développer un marché parallèle, celui le plus proche possible de la rue, en direct du producteur au consommateur. Dès 1990, la mixtape prend ses racines dans le paysage et évoluera en même temps que le mouvement. Et elle a ses acteurs principaux, des légendes plus ou moins oubliées comme les précurseurs Cut Killer et DJ Clyde, puis DJ Poska, DJ Kost, DJ LBR, DJ Damage, DJ Golfingers, DJ Siens ou encore le très prolifique JR Ewing. Il y a aussi des structures qui naissent avec la mixtape comme Passe Passe et son instigateur, Thibaut de Longeville. Ou encore des réseaux indépendants comme Clovis et Laurent du magasin Urban Music.
Au départ très artisanale, la mixtape deviendra de plus en plus professionnelle avec le développement du matériels des DJ, mais aussi celui des home studios et des moyens des petits labels indépendants, poussant à vitesse accélérée. Certaines mixtapes ont lancé des carrières ou des tendances pérennes dans le rap français, d'autres sont devenues plus importantes que des albums officiels. Chronique en 10 projets d'une faille temporelle avec des rebelles de l'industrie du disque.

IAM - Concept (1990)

Pour beaucoup, la cassette Concept d'IAM est considérée comme la première mixtape française. Enregistrée avec les moyens du bord, mixée par les débrouillards du Massilia Sound System, Concept est le point de départ de l'aventure marseillaise. En 1990, elle sera tirée à 300 exemplaires uniquement et ne sera jamais rééditée par la suite. On y découvre les premiers morceaux de Shurik'n, Kheops, Imhotep et Akhenaton dans une démarche créative sans limite. Les morceaux passent du français à l'anglais, les productions sont les premières du genre en France et la pochette est un véritable collage artisanal. Fraîchement revenu de New York, Akhenaton est à l'initiative de ce format cassette pirate, déjà répandu outre-Atlantique. Alors que les mixtapes seront ensuite l'apanage des DJ avec mix, scratch et passe passe, Concept est plutôt la première démo officielle du groupe, échangée sous le manteau entre initiés, dans le tout jeune milieu du rap français. Pour la petite histoire, c'est Joey Starr lui-même qui diffusera quelques exemplaires sur Paris après en avoir fait sa découverte. La légende de la cassette rare est née, donnant des idées à une scène bourgeonnante.

Cut Killer - Mixtape n°10 : Freestyle (1995)

Alors que le phénomène mixtape devient de plus en plus important aux États-Unis, Cut Killer est le premier DJ français à se faire un nom avec ce format à Paris, aux côtés de DJ Clyde. En 1994, la scène underground du rap français bouillonne. Pourtant, de nombreux artistes n'ont pas les moyens d'enregistrer leur démo en studio. Cut Killer va alors progressivement ajouter des freestyles, enregistrés dans sa chambre, pour les inclure à ses mixtapes . Il développe ainsi une offre et une demande autour de rappeurs comme La Cliqua, Sléo, Fabe, Lunatic et bien sûr son associé East, avec qui il créa le label Double H. En 1995, pour sa dixième mixtape, il décide d'organiser une spéciale freestyle : une succession de rappeurs français qui enregistrent sur des instrumentaux américains en toute liberté, une première en France. Il place alors un coup de projecteur sur tous les artistes émergents du moment, de D Abuz System à Timide et Sans Complexe en passant par les collectifs Beat 2 Boul ou Ménage à 3. Cette mixtape fera date et deviendra un média important de promotion au sein du rap français.

DJ Poska - What's The Flavor n°25 (1997)

Arrivé peu de temps après Cut Killer sur le marché de la mixtape à la fin 1994, DJ Poska va se rendre incontournable avec un rendement impressionnant et une exigence de qualité de plus en plus forte. En 1997, pour le vingt-cinquième volume de ses What's The Flavor, il veut marquer les esprits avec une spéciale rap français inédite et sauvage. De l'autre côté de l'Atlantique, le DJ légendaire Tony Touch vient de sortir une pièce classique. Sa mixtape 50 MC's est un enchaînement sans pause de 50 rappeurs se déchaînant sur les instrumentaux de leurs confrères, explosant ainsi toute la concurrences. Chez Poska, le concept est le même, frapper plus fort avec les meilleurs rappeurs du moment sur les meilleurs instrumentaux américains. En 1997, le rap français est en pleine explosion et ce volume 25 en bénéficie avec Busta Flex, Oxmo Puccino et la clique Time Bomb à leur apogée mais aussi la découverte de techniciens enragés comme Futuristiq, Ex-Nihilo ou Aktëfrazë. Avec le même concept que le volume précurseur de Cut Killer, Poska pousse le perfectionnisme à son maximum avec une introduction mythique et une qualité d'enregistrement professionnelle.

Opération Coup de Poing (1997)

Alors que la mixtape est devenue incontournable en France, le label Passe Passe s'est spécialisé dans la distribution de cassettes américaines, livrant ainsi le meilleur de l'actualité avec une cadence folle. À l'origine du label, Thibaut de Longeville est entouré d'un microcosme de rappeurs en plein essor, pas encore signés en maisons de disques. Il a alors l'idée d'une mixtape, composée comme celles des États-Unis qu'il adore, avec une direction artistique très poussée, mettant en valeur ces talents bruts : la fameuse écurie Time Bomb d'Oxmo Puccino à Lunatic en passant par Pit Baccardi, Hifi et les X-Men, mais aussi Ärsenik, la Fonky Family et la Mafia K'1 Fry naissante au grand complet. La plupart des artistes présents sont devenus incontournables dans les années suivantes. Réalisée avec DJ Cream, Opération Coup de Poing a le format d'une compilation de luxe avec des choix musicaux précis et reste à ce jour une des mixtapes les plus vendues en France. Thibaut de Longeville et ses associés se présentent alors quasiment comme des directeurs artistiques de label indépendant sans format et donneront des idées pour les compilations à venir telles Nouvelle Donne ou Première Classe. Opération Coup de Poing est le manifeste de toute une génération.

Cut Killer - Hip Hop Soul Party III (1996)

Avant 1996, la production de disques de rap français est jusqu'alors très réduite. Alors que Cut Killer travaille sur Hip Hop Soul Party, une série de compilations officielles chez Universal, il a l'idée de réaliser le premier mix entièrement en français, composé uniquement des dernières sorties vinyles du moment. On y croise alors les premiers maxis de X-Men, Rocca, Ideal J, Koma ou K-Reen, le tout enchaîné d'une main de maître avec beaucoup de technique. Accompagnés de quelques inédits maintenant classiques et surtout de sa fameuse introduction de La Haine en version longue, ce CD mixé va placer le rap français à un niveau d'exposition jamais égalé à l'époque, avec les moyens des majors. Hip Hop Soul Party 3 garantit ainsi la renommée de Cut Killer comme figure incontournable du hip-hop français.

Nique la musique de France (1998)

Après l'incroyable succès d'Opération Coup de Poing, Thibaut de Longeville et DJ Cream sont très sollicités pour une suite. Mais en 1998, tous les artistes de la mixtape la plus célèbre du rap français sont maintenant signés. Poser un couplet en freestyle uniquement pour la compétition et la renommée ne les intéresse plus. Finalement, cette nouvelle mixtape de l'équipe Passe Passe reprend les meilleures sorties françaises du moment. Mais ils y ajoutent un bonus en y intégrant de nombreux blends, c'est à dire en synchronisant et mixant des acapellas françaises sur des instrumentaux américains pour un résultat inédit, très prisé outre-Atlantique. Grâce à ce positionnement, on retrouve les mêmes artistes que sur Opération Coup de Poing comme la Fonky Family, Ärsenik ou la Mafia K'1 Fry mais sans les fameux freestyles de rue. Pourtant, Thibaut de Longeville et Cream apportaient un concept fort et provocateur, emprunté au morceau "La Résistance" de la Fonky Family : Nique la musique de France. Toute la sélection et le mix sont tournés vers cette opposition à la variété française et son histoire. En filigrane, elle s'oppose aussi, avec un sens de la provocation extrême, à cette société française de la censure qui pense que le rap est une "sous culture de sauvageons". Une révolte s'est mis en place dans le rap français, un véritable antagonisme social dont Nique la musique de France en est un des témoins principaux, au succès garanti.

Dontcha Flex n°3 et n°4 (1997)

Pendant plusieurs années, la réalisation de mixtapes est exclusivement le fait de DJ. Ils s'en servent de carte de visite et de vecteur de la culture hip-hop. Mais peu de temps après, un expert de l'improvisation nommé Dontcha Flex va renverser la tendance. Comprenant que le public cherche surtout ces freestyles bruts sans limites ni barrières, il va se passer du DJ et réaliser lui même des mixtapes de freestyles enregistrés à l'arrachée. Après deux premiers volumes très artisanaux, il sort les numéros 3 et 4 à quelques mois d'intervalle en 1997. Avec lui, le niveau monte de plusieurs crans, entre les Sages Poètes et Busta Flex en feu, l'arrivée du Nisay de Salif puis de tous les artistes du futur label BOSS comme Lord Kossity, Mass, Iron Sy, FatCap ou les Reptiles. Ces deux mixtapes deviendront des exemples d'une économie parallèle pour les rappeurs, inondant directement la rue avec leurs dernières productions, éliminant la plupart des intermédiaires. Assez courtes, elles donneront aussi une autre direction originale, plus tournée vers l'instinct et la spontanéité, les qualités principales de Dontcha Flex.

DJ Kost - n°10 - Ten Tape Commandments (1998)

En 1998, la compétition dans le milieu de la mixtape est à son paroxysme. Il faut donc se démarquer par tous les moyens possibles. Membre du collectif de DJ Poska, La Face B, DJ Kost est spécialisé en réalisation de mixtapes R&B. Toute sa production, promotion et distribution sont dirigées par Clovis, le pivot du magasin Urban Music à Châtelet. Clovis connaît absolument tous les acteurs du rap français qui passent régulièrement dans son magasin ou dans ses soirées. Il a alors l'idée de tous les inviter pour la dixième mixtape de DJ Kost. Cette Ten Tape Commandments sera titanesque avec plus d'une centaine d'artistes, rappeurs, DJ, chanteurs, tous à la suite sur la première mixtape double cassette du rap français. Un monument oublié.

Néochrome (1998)

Après les exemples de Dontcha Flex, les mixtapes deviennent de plus en plus des compilations de morceaux bruts, produits rapidement pour alimenter le public, toujours en recherche de fraîcheur. De nouvelles structures indépendantes se montent alors dans ce but et une d'entre elles va avoir une longévité exceptionnelle. Monté par Yonea et Loko, Néochrome se créé avec l'élaboration de mixtapes mélangeant pointures du moment et total inconnus. Ainsi, dès sa première sortie éponyme en 1998, Néochrome devient un découvreur de talents de tous styles, de TTC à Soldafada en passant par toutes les tentacules du groupe infini ATK, très proche du label. Cette réputation de défricheur du gouffre amènera Néochrome à lancer plus tard des artistes importants comme Sinik, Seth Gueko ou Al K Pote. Et tout commence avec cette cassette.

Original Bombattack / Sang d'Encre (1999)

Les enregistrements d'émissions de radio échangés sur cassette sont les ancêtres des mixtapes. Donc quoi de plus normal de voir les programmes les plus cultes de la radio rap par excellence, Générations 88.2 FM, produire leurs propres mixtapes. Original Bombattack est une émission consacrée à la découverte de nouveaux talents. Animée par Mark, elle est réputée pour avoir été le repaire de la génération Time Bomb entre 1996 et 1998 mais aussi d'autres artistes prometteurs comme Nakk et les 10. Cette première mixtape sortie en 1999 est un savant mélange de nouveaux freestyles enregistrés en studio et du meilleur des directs de l'émission. Autre animateur incontournable, JP Seck a aussi produit une mixtape pour représenter son émission Sang d'Encre. Ce projet est un vrai laboratoire avant l'avènement de son label 45 scientific et la consécration indépendante de Lunatic et Booba. Rythmée par de nombreux interludes radiophoniques et par la très attendue battle entre Sheryo et Sadik Asken, cette cassette propose une expérience atypique avec une belle ligne éditoriale et les meilleurs spécialistes du genre, de Driver à Casey.