Peu importe que les jeux soient de plus en plus ambitieux et démesurés. L'industrie ira toujours plus loin, que ce soit au niveau des graphismes ou des fonctionnalités.
Depuis sa création, Rockstar Games a toujours eu une approche ambitieuse : "Créer le divertissement le plus innovant et évolué." Les développeurs prennent ce principe très à coeur. Depuis 2001, la quasi-totalité des titres édités par Rockstar ont été considérés une petite révolution dans l'industrie. Mais ce qui est considéré comme extrêmement novateur pendant quelques mois ne le reste jamais pour toujours.
L'ironie, c'est qu'une innovation se présente souvent sous une forme simple et banale, de sorte à ce que les joueurs ne la remarquent pas.
Prenons l'exemple de l'utilisation de la musique dans GTA V. La radio joue un rôle central dans le titre, avec des sets animés par DJs, des publicités, des blagues entre les chansons et plu de 250 titres sous licences. La bande son est éclectique, avec des artistes allant de Creedence Clearwater Revival à Johnny Cash en passant par 2Pac ou Dr. Dre. Si vous passez d'une station à l'autre, vous pouvez écouter la radio pendant des heures sans entendre la même chanson.
Cette fonctionnalité est tellement ancrée dans l'ADN de GTA qu'elle peut passer inaperçue, surtout pour les jeunes joueurs. Mais pour en arriver là, la route fut longue pour Rockstar. L'histoire a commencé avec les frères Dan et Sam Houser, les fondateurs de Rockstar Games.
New-York, label & Rick Rubin
Pendant l'enfance, Dan et Sam rêvent de travailler dans l'industrie musicale. Leur père est co-propriétaire d'un club de jazz, et les deux frangins tombent amoureux de la scène hip-hop new-yorkaise dans les années 1980. À l'époque, ils rencontrent Rick Rubin, un ancien étudiant de l'Université de New-York qui a fait ses preuves en produisant des disques pour LL Cool J, Geto Boys, Public Enemy, Run D.M.C et les Beastie Boys. Les frères Houser, éduqués dans les écoles les plus prestigieuses de Londres, se sont inspirés des productions de Rick Rubin pour créer l'univers musical de leur empire virtuel, peuplé de gangsters et de prostitués.
Les deux frangins débutent leur carrière au sein de BMG Music. Ils réalisent des captations de concert avant de rejoindre BMG Interactive, antenne de la maison mère dédiée aux jeux vidéo. C'est à cette époque qu'ils rencontrent les développeurs de DMA Design (qui deviendra plus tard Rockstar North), qui leur présentent une idée d'un jeu de course, baptisé Race & Chase. BMG Interactive accepte de le commercialiser. Le titre sort en 1997 sous un nouveau nom, Grand Theft Auto.
Le jeu est un succès, et Take-Two rachète les droits de la franchise. Les frères Houser fondent Rockstar Games pour publier les jeux de Take-Two. Grand Theft Auto 2 sort en 1999.
Dans le premier opus, les radios existent déjà, mais les titres sont composés et enregistrés en interne. Dans Grand Theft Auto 2, un DJ est assigné à chaque station (qui possède son propre logo) et des publicités satiriques viennent ponctuer les sets.
L'ère des licences
En 2001, Rockstar accouche de Grand Theft Auto III. Contrairement aux épisodes précédents, les chansons qui passent sur les stations sont composées par des artistes externes. Sur la station hip-hop, on retrouve par exemple Black Rob ou Royce Da R'9'''. Les titres ne sont pas issus du Top 50. Les chansons les plus "populaires", comme She's on Fire de Amy Holland et Push it to the Limit de Paul Engemann ont été empruntées à la BO de Scarface.
Pour la première fois, Rockstar utilise la musique comme un argument marketing. Dans l'un des premiers trailers du jeu, l'opéra italien 'aria O moi babine Caro' vient se juxtaposer sur des scènes de violences entre des mafiosos italiens.
Dans le jeu, la musique fait partie du storytelling et de la narration. Les gangsters n'ont pas les mêmes goûts en matière de musique. Volez un véhicule des Uptown Yardies (un gang de jamaïcains, ndlr) et la radio sera automatiquement réglée sur K-JAH, la station reggae.
Rockstar sort Grand Theft Auto III au début de l'ère du peer-to-peer. Napster n'est plus, mais BearShare, Kazaa et IMesh ont pris la relève. En guise de clin d'oeil, Rockstar incorpore une fonctionnalité dans la version PC, permettant de créer sa propre playlist en important vos propres fichiers .mp3.
Le studio enchaine avec deux sequels utilisant le même moteur que sur GTA III (Renderware, ndlr) : GTA : Vice City (2002) et GTA : San Andreas (2004). L'intrigue de Vice City se déroule dans les eighties, et celle de San Andreas dans les nineties. Ces deux jeux représentent le point culminant de la série en matière de musique, parce qu'ils symbolisent parfaitement leur époque. La bande originale de Vice City est composée d'une centaine de chansons sous licences, dont des hits des années 80 comme Billie Jean, Broken Wings ou I Ran.
La bande originale de San Andreas comporte plus de 150 chansons dont quelques hits, comme Killing In The Name, Rebel Without a Pause et Nuthin But A 'G' Thang. C'est l'avantage de créer un jeu dont l'intrigue se déroule dans le passé : Rockstar a bien conscience des titres qui ont marqué la décennie et survécu à l'épreuve du temps.
La radio de San Andreas se distingue par sa dimension aléatoire. Jusqu'ici, les stations de radios répétaient les mêmes chansons en boucle. Ce principe est conservé dans GTA IV, sorti en 2008, qui comporte plus de 200 titres. Contrairement à Vice City et San Andreas, GTA IV se déroule à notre époque et propose une playlist qui mélange du vieux avec du neuf, avec des artistes comme The Smashing Pumpkins, Kanye West, Aphex Twin ou R. Kelly.
L'OVNI Beaterator
En 2009, Rockstar dévoile Beaterator pour PSP et iOS. Un séquenceur de poche, développé à partir d'une application Flash incorporée sur le site de Rockstar Games. Le titre comprend des milliers de beats originaux, samples et effets imaginés par le studio en collaboration avec Timbaland, que les joueurs peuvent accélérer, ralentir ou arranger pour créer leurs propres compositions. Une suite logique pour Rockstar, qui s'évertue a donner une place importante à la musique dans ses productions.
Dans Beaterator, les joueurs peuvent partager leurs compositions musicales avec la communauté. Contrairement aux jeux musicaux - plébiscités à l'époque - comme Guitar Hero, Rock Band et DJ Hero, Beaterator favorise la création plutôt que la cover. Le titre est, sans surprise, acclamé par la critique.
La musique et le storytelling
En 2010, Rockstar Games commercialise Red Dead Redemption, un jeu en monde ouvert se déroulant au début du 20e siècle dans une zone fictive de l'Ouest Américain. Bill Elm et Woody Jackson tentent de reproduire les musiques composées par Ennio Morricone dans les westerns spaghetti plutôt que de reproduire de la musique d'époque. Red Dead Rédemption est pensé comme un film hollydoowien plutôt qu'historique. Le gouffre qui sépare le jeu vidéo du cinéma se réduit peu à peu.
Le moment le plus marquant de Red Dead Redemption est intimement lié au choix de la musique. Il s'agit de la scène où John Marston passe la frontière du Mexique à cheval. Habituellement, le personnage principal traverse les plaines désertiques en silence, bercé par le bruit des oiseaux et les sons de la nature. Mais cette fois là, José Gonzalez interprète Far Away.
Un moment rare et isolé, qui déclenche une émotion profonde chez les joueurs. La chanson a des paroles et ne se limite pas qu'à la mélodie. Un choix osé pour l'époque, mais payant.
Rockstar pond un scénario similaire dans Grand Theft Auto V (2013), mais avec un effet comique. Quand Trevor ramène Patricia Madrazo à son mari à la fin de la mission Monkey Business, If You Leave Me de Chicago passe à la radio. Trevor craque et pleure à côté de la femme qu'il vient de kidnapper.
La musique a une place encore plus importante dans Grand Theft Auto V. De nombreux artistes sont crédités dans le jeu : de Rick James à NWA en passant par Bob Seger. À une époque où les cinématiques jouent un rôle prépondérant dans la narration, les joueurs en veulent plus. Des morceaux placés au bon moment et qui ont un intérêt dans l'histoire.
Récemment, Rockstar a dévoilé un DLC pour GTA Online, baptisé 'Nuits Blanches et Marché Noir', qui permet de se lancer dans le business de la nuit. Une extension où la musique a, là encore, une place prépondérante. Dans cette extension, vous pouvez recruter des DJs reconnus pour venir mixer dans votre boîte de nuit, comme The Black Madonna ou Solomun.
Dans deux mois, le studio va commercialiser Red Dead Rédemption 2, sa seule production en cinq ans. Mais comment le studio va-t-il réussir à créer une soundtrack encore plus innovante ? Les développeurs peuvent-ils encore révolutionner l'industrie ? L'avenir nous le dira.
Red Dead Redemption 2 débarque sur PS4 et Xbox One en Octobre 26.