Gaming
Si le jeu vidéo indépendant semble aujourd’hui bien implanté dans le paysage vidéoludique, la situation était bien différente il y a encore une dizaine d’années. Les boutiques en ligne des différentes consoles étaient encore peu accessibles aux petits créateurs, il n’y avait que quelques centaines de jeux disponible sur Steam et l’audience des jeux indépendants était sauf exception encore souvent confidentielle. Quelques pionniers ont néanmoins réussi à conquérir un large public et à se faire un nom dans cette scène alors émergente, et Jasper Byrne était de ceux-là, avec son jeu horrifique Lone Survivor. Dix ans plus tard, le voici donc de retour avec Super Lone Survivor, version ultime de son titre culte. Retour sur l’histoire mouvementée d’un jeu qui garde toute sa pertinence en 2022.
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Jasper Byrne, du ZX Spectrum à Lone Survivor
Tout commence en 1984. Le jeune Jasper Byrne, 8 ans, code son premier programme sur le ZX spectrum familial, tout d’abord en clonant des jeux existants, puis en inventant ses propres aventures. Une passion pour le bricolage vidéoludique qui se traduira même par la sortie d’un jeu commercial en 1995, le point & click Keith’s Quest. C’est néanmoins du côté de la musique que Byrne commencera sa carrière professionnelle en tant que DJ et compositeur.
Après une dizaine d’années dans le milieu musical, Byrne revient aux jeux vidéo, participe à des game jam sur son temps libre et rejoint Frontier en tant que développeur. Une expérience en demi-teinte qui le conduira à se lancer en tant qu’indépendant après un licenciement soudain, chose hélas récurrente dans l’industrie vidéoludique. Fasciné par les survival horror des années 90, il commence alors à travailler en solo sur un projet un peu fou : réaliser un demake (sorte de remake inversé) de Silent Hill II, son jeu préféré. Initialement conçu comme un simple exercice de style, le projet prend de l’ampleur et Byrne s’investit pleinement dans la réalisation du titre.
En effet, plus le jeune homme avance dans sa réflexion, et plus il se rend compte que beaucoup d’éléments présents dans Silent Hill II fonctionnent de manière tout aussi terrifiante une fois passés en pixel art et en 2D : le brouillard, les jeux sur la caméra, l’errance psychologique du personnage… En juillet 2008, Après quelques mois de développement et après avoir du faire face à un deuil personnel (une thématique également au cœur de Silent Hill II), il met en ligne Soundless Mountain II, revisite façon 8-bits du survival horror de Konami. Le titre, évidemment gratuit pour des raisons de droit d’auteur, est très remarqué par le petit monde des fans de jeux amateurs.
Principalement accaparé par ses activités de musicien, Byrne ne refera pas vraiment parler de lui en tant que créateur de jeux pendant quelques années. On lui doit tout de même un jeu réalisé dans la foulée de Soundless Mountain II pour le compte de la plateforme flash d’Adult Swim, Soul Brother. Il s’agit d’une variation sur le thème des platformers indépendants hardcore à la Super Meat Boy et autres VVVVVV dans lequel un petit chat peut projeter son propre fantôme sur des objets a priori inaccessibles. Un jeu dont il signe également la bande son comme il en a l’habitude. Néanmoins, l’année qui marquera l’arrivée de Jasper Byrne sur les radars de l’industrie sera 2012, avec la sortie commeriale de Lone Survivor, une version profondément retravaillée de Soundless Mountain II.
Lone Survivor, un succès soudain
Même si en 2012, Byrne est connu au sein de la scène indé et même si Soundless Mountain II a eu son petit effet, le développeur reste un anonyme aux yeux du grand public. Deux événements vont soudainement lui donner son quart d’heure de célébrité.
Il y aura tout d’abord son retour à la musique, un domaine qu’il n’a jamais vraiment abandonné. Byrne signe une partie de la musique du très remarqué Hotline Miami en mettant à profit sa science de la chiptune et des machines de la génération Amiga sur lesquelles il a fait ses armes. Des influences au nombre desquelles il faut ajouter celles de nombreux jeux japonais des années 90 et sur lesquelles il est longuement revenu dans une interview pour un podcast spécialisé il y a quelques années.
Mais surtout, il y a la sortie de Lone Survivor, son premier jeu majeur reprenant et étendant le concept de Silent Hill en pixel art déjà brossé dans Soundless Mountain. Après avoir terminé Soul Brother, Byrne se retrouve avec un peu d’argent et pas mal de temps et commence à travailler à une version « complète » de son jeu horrifique. Une première version est montrée dès 2011 à l’Independant Games Festival, et marque les journalistes par son approche assez gore et angoissante. On y suit un humain, seul dans une ville brumeuse en ruines et cherchant à échapper à des créatures monstrueuses.
Peu satisfait de cette première version qu’il juge trop gore, trop explicite et trop désespérée, Byrne reverra sa copie tout au long de l’année pour arriver au résultat final qui sort en mars 2012. Lone Survivor se présente sous la forme d’un jeu 2D en scrolling horizontal qui vous propose donc de tenter de survivre à une étrange catastrophe ayant laissé la ville dans un étrange brouillard semblant transformer peu à peu les survivants en mutants sanguinaires. Pour survivre, le joueur doit dénicher de l’eau, de la nourriture et des médicaments, à mesure que la santé mentale du protagoniste se dégrade et transforme le monde autour de lui en rêve fiévreux. Les mois de développement supplémentaire ont également permis à Byrne d’ajouter des éléments plus positifs qui sont autant de moments de respiration bienvenus dans cette aventure éprouvante.
Plus on avance dans Lone Survivor, et plus la frontière entre réalité et cauchemar se brouille. Le protagoniste voit le monde se troubler et se modifier sous ses yeux, et le joueur est placé dans l’inconfort constant de ne jamais savoir si les monstres et les visions d’apocalypse se déroulant devant lui sont le fait de véritables événements ou de l’état mental de plus en plus précaire du héros. La fin du jeu, particulièrement sombre et cryptique renvoie aux dénouements cruels des premiers Silent Hill. On y distingue néanmoins plus d’espoir et d’optimisme que dans nombre de jeux du genre, Byrne s’étant refusé à livrer un scénario à la conclusion trop lugubre.
Lone Survivor reprend de nombreuses idées déjà présentes dans Soundless Mountain II : la caméra cachant une grande partie des menaces présentes, la brume constante, les créatures difformes ou la présence d’un narrateur modérément fiable : bref, il s’agit avant tout d’un jeu d’horreur psychologique comme on en fait alors plus beaucoup. Ce sera un succès immédiat, les critiques saluant l’ambiance extrêmement travaillée, la musique s’accordant parfaitement au scénario et le gameplay parfaitement équilibré et au service du propos. Lone Survivor se vend rapidement à des centaines de milliers d’exemplaires, assurant une certaine tranquillité financière à Jasper Byrne.
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Après le succès : la Director’s Cut
Dès la sortie du jeu sur PC, Byrne souhaite y apporter quelques compléments et le porter sur un maximum de machines. Il commence à travailler avec Curve Studio pour la réalisation d’une Director’s Cut ainsi qu’un portage sur consoles. Cette nouvelle version sort un peu plus d’un an après Lone Survivor sur PlayStation 3 et Vita et fin 2014 sur PlayStation 4 et Wii U et les différents portages et correctifs vont occuper le développeur pendant quelques années.
Il faut dire que la Lone Survivor : The Director’s Cut modifie déjà pas mal de choses de la version 2012 du jeu : une bande originale rallongée, deux fins supplémentaires, un retravail graphique complet des effets lumineux, l’ajout d’un mode New Game +… La liste des modifications apportées au fil des mises à jour n’en finit pas. Des améliorations qui permettent aussi à Byrne d’affiner l’ambiance du jeu en lui donnant une teinte encore plus cinématique, le cinéma fantastique et horrifique influençant grandement son travail.
Néanmoins, Byrne finit par passer à autre chose, mais s’avère dès 2015 avoir du mal à faire aboutir d’autres projets vidéoludiques, ce qui le conduit à retourner plus activement à la composition musicale. Pendant plusieurs années, il essayera néanmoins de développer des jeux : un jeu de course en pixel art, un jeu d’action en 3D, un épisode bonus pour Lone Survivor nommé Lone Warrior… Mais rien n’aboutira vraiment.
C’est finalement suite à la pandémie de Covid-19, lors du confinement mondial, que Jasper Byrne décide de ressortir Lone Survivor des cartons. D’une part pour passer le temps pendant ces semaines enfermé chez lui, et d’autre part parce que la version originale du jeu, développée en flash, était menacée de disparaître du fait de l’obsolescence de cette technologie. Annoncé fin 2020 et initialement prévu pour 2021, le projet Super Lone Survivor était né.
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Super Lone Survivor : un petit projet devenu grand
De son propre aveu, Jasper Byrne n’avait pas du tout anticipé le temps très important que lui demanderait la réalisation d’une nouvelle version de Lone Survivor. Initialement, il s’agissait surtout d’un changement de résolution graphique et de quelques retouches techniques comme un support manettes amélioré. Mais le projet s’est emballé et a finalement aspiré plus de deux ans de la vie du réalisateur.
Lone Warrior, tout d’abord est lentement passé de simple scénario annexe à un jeu complet situé dans l’univers tortueux de Lone Survivor. Toujours en développement, il devrait à terme être la réponse « action » à la partie « infiltration » constituée par le premier jeu. Mais ce qui a finalement pris beaucoup plus de temps qu’initialement envisagé, c’est la somme des idées que Byrne a eu en cours de la réalisation de Super Lone Survivor.
Constatant qu’une des thématiques centrale du jeu était de prendre soin de soi et de sa santé mentale pendant une pandémie effrayante, le développeur a décidé d’ajouter énormément de contenu à la version 2012 du jeu. Les améliorations techniques sont beaucoup plus ambitieuses qu’initialement prévu, avec de nouvelles résolutions proposées, des contrôles repensés et un retravail complet des systèmes d’ombres et de lumières. Mais Super Lone Survivor se dote également de deux modes de difficulté supplémentaires destinées à proposer une expérience plus tranquille à ceux qui le souhaitent ainsi qu’un mode plus hardcore destiné à ceux qui désireraient revisiter l’aventure via une expérience plus brutale.
Mais ce sont surtout les ajouts au cœur du jeu lui-même qui ont largement occupé Jasper Byrne : la musique a été entièrement remasterisée et se voit renforcée par un album entier de nouvelles pistes. Ces dernières servent à illustrer le contenu massif qui a été ajouté au jeu de 2012 : un long chapitre supplémentaire, de nouveaux personnages, de nouveaux challenges et secrets à débusquer, de nouvelles armes et une (longue) quête secondaire reliant tous ces nouveaux éléments entre eux.
Lone Survivor n’est pas le seul jeu de la première grande vague indé à se voir ainsi enrichi de nouveau contenu ou de suites, comme en témoignent les récents Super Meat Boy Forever, The Stanley Parable Ultra Deluxe et autres Braid Anniversary Edition. Mais peu d’entre eux auront eu une histoire aussi longue : entre les premiers brouillons de Soundless Mountain II et ce Super Lone Survivor, plus de quinze ans se sont écoulés. Le temps pour qu’une pandémie mondiale ne mette le monde à l’arrêt et ne donne un éclairage et une pertinence toute nouvelle à ce classique désormais intemporel du jeu vidéo, qui nous est livré dans sa version définitive. Jusqu’à la prochaine.
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