Alinghi Red Bull Racing
© Samo Vidic / Alinghi Red Bull Racing
Voile

Les différences entre les six voiliers de la prochaine America’s Cup

Les AC75 des différentes équipes sont assez différents les uns des autres... Lequel sera le plus performant ? Petit point sur ce qu’il est possible de relever à ce jour.
Écrit par Axon Translate
Temps de lecture estimé : 8 minutesPublished on
Plus que jamais, la 37e édition de l’America’s Cup est une course d’architecte naval et d’ingénieurs. Le ratio entre le nombre de régatiers à bord des voiliers rapporté à celui des membres du Design Team de chaque équipe le démontre. Ils ne sont aujourd’hui plus que 10 % à naviguer dans des équipes de 150 personnes. Un rapport qui rapproche ce monde de celui de la F1, où deux pilotes par écurie mènent les monoplaces, alors que des centaines d’ingénieurs et mécaniciens s’affairent à leur performance.
Et tout comme en F1 où les pneus sont fournis aux équipes, certains éléments des AC75 sont également « monotype », identiques pour toutes les équipes, et à intégrer dans l’équation des designers et des ingénieurs : la partie haute des foils, leurs vérins, et le mât.
Les choix opérés par chacune des équipes restent difficiles à interpréter tant l’interconnexion entre chaque détail est importante.
BoatOne en entraînement foil

BoatOne en entraînement foil

© Samo Vidic / Alinghi Red Bull Racing

Jauge très cadrée

Les AC75 de l’America’s Cup 2024 sont issus d’une jauge qui en est à sa deuxième édition. Trois générations de voiliers se sont succédé :
  1. La première était celle des bateaux de tests et de développement construits en vue de la 36e édition de la Coupe, qui allait se courir à Aukcland en mars 2021,
  2. La deuxième génération d’AC75 est celle qui a disputé l’épreuve de 2021,
  3. Et la troisième, celle qui a été mise à l’eau entre avril et mai cette année en vue de la 37è Coupe de l’America.
Alinghi Red Bull Racing

Alinghi Red Bull Racing

© Samo Vidic / Alinghi Red Bull Racing

Quelles sont les principales différences entre ces trois générations de voiliers ?
  • La différence la plus marquante entre la jauge de 2021 et l’actuelle est la diminution du nombre de régatiers qui est passé de 11 à 8 personnes.
  • L’arrivée des « cyclors » qui pédalent pour fournir l’énergie nécessaire aux manœuvres est aussi un changement important, et une surprise pour beaucoup.
  • Les bateaux de cette année sont globalement plus légers d’environ 700 kg (estimation) par rapport aux anciens, ce qui a permis de réduire considérablement la surface des foils.
En 2024, Arthur Cevey de l'équipe Alinghi Red Bull Racing se concentre intensément pendant l'entraînement à Barcelone

L'entraînement à Barcelone

© Olaf Pignataro / Alinghi Red Bull Racing

À noter que toutes les équipes, hormis Alinghi Red Bull Racing et Orient Express Racing Team disposent de l’expérience de la précédente Coupe pour développer leur nouvelle monture. Une seule construction étant autorisée pour cette édition, le défi suisse a fait l’acquisition de BoatZero (le premier AC75 construit par les Néo-Zélandais) pour s’entraîner et développer BoatOne. Alors que les Français ont négocié un Design package avec les kiwis, afin de ne pas partir de zéro et gagner du temps.

Aller vite, mais pas que !

Le défi de chaque voilier est d’une part la vitesse pure en ligne droite, et d’autre part la capacité de gérer les phases de transition et les successions de manœuvres en perdant le moins de vitesse possible. Toujours dans la comparaison avec le sport automobile, chaque voiture doit être bien sûr rapide, mais aussi capable de freiner tardivement, et de réaccélérer en sortie de courbe, etc. L’optimisation des performances du bolide s’analyse sur un tour de circuit et non pas à une seule ligne droite. Une approche qui impose une vision globale et surtout assez complexe.
Maxime Bachelin (L) and Simeone Busonero (R) of Alinghi Red Bull Racing seen prior to the first towing test of BoatOne in Barcelona, Spain on April 17, 2024.

Maxime Bachelin, Simeone Busonero

© Samo Vidic / Alinghi Red Bull Racing / Red Bull Content Pool

Dans la même perspective, les AC75 doivent être rapides, mais aussi stables une fois en vol. Ils doivent décoller tôt et accélérer fort dans la foulée, ne pas s’arrêter dans les « touch down » de la coque retombant sur l’eau, manœuvrer sainement, etc. Les équipes ont chacune fait des choix architecturaux plus ou moins radicaux, orientés par leurs différentes expériences et les conditions du nouveau plan d’eau de Barcelone.

Ce qui est visible sur les nouveaux AC75

Ce que l’on peut dire à ce stade, alors que tous les bateaux ont été dévoilés, c’est que l’aérodynamique est partout extrêmement soignée. Un constat peu surprenant pour des voiliers qui évoluent à des vitesses proches de 100 km/h. La gestion des flux d’airs, tant sous la coque que dessus, est déterminante sur l’ensemble de la conception et a guidé les ingénieurs dans toutes leurs réflexions.
Les parties dites « vives »
Les parties vives d’un voilier sont les parties de la coque en contact avec l’eau, celles qui sont dans l’eau lorsque le bateau ne vole pas. Elles sont ici conçues pour favoriser le décollage, et limiter la traînée hydrodynamique, et donc la perte de vitesse lors des « touch down ». La différence entre les carènes des différentes équipes est assez remarquable et démontre des approches différentes.
En 2024, le bateau AC75 d'Alinghi Red Bull Racing est dévoilé à la base de Barcelone

Alinghi Red Bull Racing dévoile l'AC75

© Samo Vidic / Alinghi Red Bull Racing

Les volumes de l’étrave de Britannia (GBR) sont par exemple très importants, et le fond de sa coque centrale (le fameux bustle) est plus profond en comparaison aux autres. Celui-ci est marqué par une rupture bien avant le safran (partie immergée qui sert à gouverner), ce qui constitue encore une particularité de l’engin.
Taihoro (NZL) présente quant à lui un bustle droit sur presque toute la longueur du bateau, et qui finit en pointe.
Quant à celui du BoatOne (SUI) d’Alinghi Red Bull Racing, il est plus volumineux que les autres à l’arrière…
La forme des étraves, plus ou moins tulipées, est aussi assez spécifique à chaque bateau.
L’observation de Patriot 2 (USA) démontre que des choix assez radicaux ont été faits du point de vue de l’ergonomie. La position couchée des « cyclors » a permis de rabaisser le pont, et d’opter pour des cockpits plus larges, avec le duo barreur-régleur côte à côte, alors qu’ils sont en ligne chez la concurrence. Conséquence de cette configuration : moins de volumes de traînée aérodynamique, centrage des poids et avancement du centre de gravité, mais moins bonne efficacité de transmission de l’énergie du « power groupe ».
Marco Odermatt

Marco Odermatt

© Olaf Pignataro / Alinghi Red Bull Racing

On peut encore relever le cockpit vitré de Luna Rossa (ITA) qui permet au régleur d’avoir une vue panoramique sur son gréement, sans altérer l’aérodynamisme. Le poste de pilotage ressemble à celui d’un pilote d’avion de chasse. Les Italiens sont les seuls à avoir fait ce choix.
BoatOne d’Alinghi Red Bull Racing présente lui aussi dans son ADN deux particularités marquées. D’une part ses volumes proéminents sur le pont au-dessus de l’étrave, et d’autre part l’arrière des cockpits qui finit en aile verticale sur la coque. Des formes qui ont été vraisemblablement développées pour optimiser les flux d’airs autour des voiles, au niveau du pont.

Que pouvons-nous en déduire ?

Il serait possible de poursuivre ce jeu des différences encore longtemps, mais les comparaisons visuelles n’apportent en l’état aucune réponse quant à la performance de chaque AC75. L’architecte naval Mathieu Verrier, du bureau VMG Yacht Design à Lausanne, confirme ce point de vue. « Ce qui est réjouissant, c’est que les bateaux soient très différents. Ça démontre que chaque équipe a mené ses propres réflexions, et qu’elles ont permis d’aller dans des directions multiples. Par contre, il est impossible d’avancer des quelconques conclusions sur les choix opérés et leur impact direct sur les performances. En plus, il y a tout ce qui n’est pas ou peu visible, comme les systèmes de réglages, les différents asservissements et la manière dont l’informatique et l’équipage gèrent l’ensemble. Il y a des milliers d’interconnexions entre les éléments, et des équipes de dizaines de personnes qui ont travaillé plus d’un an sur ces concepts. Si on ne connaît pas la démarche globale qui a été menée, on ne peut pas s’avancer à dire ce qui est mieux ou moins bien, on doit se contenter d’observer. »
Hans-Peter Steinacher, membre du conseil d’administration d’Alinghi Red Bull Racing relevait il y a quelques semaines : « BoatOne ne présente pas un design radical, mais sa performance réside dans une foule de détails. »
Alinghi Red Bull Racing AC75 BoatOne of Switzerland with Arnaud Psarofaghis and Maxime Bachelin performs in Barcelona, Spain on June 4,2024.

Alinghi Red Bull Racing Boat one 2024

© Loris von Siebenthal / Alinghi Red Bull Racing

Des propos qui laissent entendre que le design d’un AC75 relève de la gestion du risque. Chaque option prise a un impact sur l’ensemble, et chaque équipe a choisi de privilégier certains paramètres, les considérant comme plus importants que d’autres.
La presse spécialisée ainsi que les rapports des « Recon » (observateurs neutres mandatés par l’organisation de l’America’s Cup) qui sont publics apportent leurs lots d’informations quant aux spécificités de chaque bateau.

Premiers éléments de réponse du 22 au 25 août

Seule une confrontation directe permettra d’avancer des analyses sur le bien-fondé, ou non, des options choisies et de leur impact sur la performance. Premiers éléments de réponse du 22 au 25 août prochain, à Barcelone. La troisième manche des Preliminary Regattas se déroulera en effet sur les AC75 de la Coupe. Cette première confrontation directe est attendue par tous.
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