De Mafia K'1 Fry à 93 Empire en passant par Bande Organisée, découvrez notre guide des plus beaux hymnes collectifs du rap français.
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Le guide des plus beaux hymnes collectifs du rap français

Quand l'union fait la force, de Mafia K'1 Fry à 93 Empire en passant par Bande Organisée.
Écrit par Maxime Delcourt
Temps de lecture estimé : 14 minutesPublished on
Dès son arrivée en France dans les années 1980, le rap s'est imposé comme une culture à part entière, avec ses codes, ses références, ses individualités, mais aussi ses crews, tous plus singuliers et ambitieux les uns que les autres : d’ATK à la Mafia K’1 Fry, de IV My People au Secteur Ä, en passant par Time Bomb, Beat 2 Boul ou, plus récemment L’Animalerie et l’Entourage, tous ont défendu les valeurs collectivistes du hip-hop, profitant d’avancer en nombre pour enregistrer des morceaux à plusieurs. Mais ce ne sont pas les seuls. Car, au-delà des entités regroupant parfois une vingtaine de personnalités, les rappeurs n’ont jamais hésité à s’unir le temps d’un morceau, simplement dans l’idée de représenter : un département, une ville, une région, une cause ou, plus largement encore, les tendances esthétiques d’une époque.
Des exemples ? Il y en a bien trop pour tous les citer, mais certains ont marqué les esprit plus que d'autres. Parce qu’ils ont réussi à valoriser une énergie commune, quand d’autres semblaient n’avoir d’autre ambition que de rassembler un maximum de rappeurs sur une même production. Parce qu’ils disent quelque chose de l’époque dans laquelle ils s’inscrivent. Et parce que, à l’instar de « Bande organisée » de Jul et ses potes marseillais, certifié disque de platine en une vingtaine de jours, ils étaient voués à marquer l’histoire.

« Bande Organisée » de Jul

Casting : SCH, Naps, Kofs, Soso Maness, Solda, Elams et Houari
Année : 2020
Qu’importe le brouhaha de ses détracteurs, Jul continue année après année de faire corps avec des valeurs longtemps défendues par le hip-hop hexagonal. En plus d’évoluer en totale indépendance et de multiplier les gestes en direction des classes populaires, l’Ovni vient de réussir l’exploit de réunir plus de 50 rappeurs marseillais sur une même compilation, toutes générations confondues : des anciens (Sat, Le Rat Luciano, Akhenaton) des jeunes pousses (Naps, 100 Blaze), des figures ultra populaires (Soprano, Alonzo), et même des artistes profondément engagées (Keny Arkana).
La démarche fait forcément penser à ce qu’a pu réaliser Sofiane avec le 93, mais l’ambition diffère sur la forme. Là où « 93 Empire » était un projet sombre, froid, taillé pour faire corps avec l’architecture bétonnée de la Seine-Saint-Denis, « Bande organisée », le premier extrait de « 13’Organisé », s’entend comme un banger ensoleillé, pensé pour les clubs et porté par un clip où les différents invités représentent les quartiers phocéens en direct du Stade Vélodrome. Avec, déjà, cette punchline vouée à faire date, car pensée comme une pique envoyée aux voisins parisiens : « C’est pas la capitale, c’est Marseille bébé ».

« Woah » de Sofiane

Casting : Kalash Criminel, Heuss L’Enfoiré, Soolking, Sadek, Vald et Mac Tyer
Année : 2018
À l’instar de Jul, Fianso n’a pas son pareil pour mobiliser les artistes autour d’un même projet. Ainsi, quand il a l’idée de réaliser un album dédié au 9-3, le rappeur de ne fait pas les choses à moitié et rameute les anciens (NTM, Mac Tyer) comme les poids lourds actuels (Vald, Dinos, Kaaris), les rois sans couronne (Alpha 5.20, Busta Flex, Nakk) sans oublier les rookies censés assurer l’avenir du département (DA Uzi, Brvbus). L’ambition est claire : il s’agit de réunir pour la première fois les artistes du 9-3 sur une même compilation et, par conséquent, de mettre définitivement du respect sur le nom de ces différents rappeurs. « Woah », sorte de clin d’œil au morceau du même nom produit par les Américains de Black Rob en 2000, a été pensé ainsi : comme un hymne sauvage où Sofiane, Heuss L’Enfoiré, Kalash Criminel, Soolking, Sadek, Mac Tyer et Vald enchainent les punchlines imagées avec une aisance folle.
Il faut dire que les rappeurs ont alors l’intelligence de travailler ce morceau ensemble, n’hésitant pas à s’échanger les rimes s’ils pensent que cela pourrait être bénéfique au résultat final. À l’image de Vald qui offre à Fianso une phase devenue iconique : « C'est Many, l'ami trahi, qui manie la mitraillette ».

« Grand Paris » de Médine

Casting : Lino, Ninho, Sofiane, Seth Gueko, Lartiste, Youssoupha et Alivor
Année : 2017
En 2008, alors que la France est sous la présidence de Nicolas Sarkozy, un projet d'aménagement du territoire hexagonal voit le jour. Son nom ? « Le Grand Paris », censé transformer l’agglomération parisienne en une grande métropole mondiale. Parmi les villes envisagées pour être rattachées à la capitale française, Le Havre, d’où sont originaires Medine et Alivor. Lesquels, neuf ans plus tard, se réapproprient le concept et invitent d'autres artistes à le détourner dans l’idée, toute simple, de composer un hymne à plusieurs – ce que Médine avait déjà fait quelques années plus tôt avec « Téléphone arabe », enregistré aux côtés de Keny Arkana, Tunisiano, Rim'k, Salif et La Fouine.
Cette fois encore, c’est Proof, producteur et membre historique de Din Records, qui se pose derrière les machines, définit les bases de la production en trente minutes, distord un synthé et déploie un beat nerveux sur lequel les rappeurs débitent un tas de punchines egotripées. Dans le but de rappeler une simple vérité : « La banlieue influence Paname / Paname influence le monde ».

« Le singe fume sa cigarette » de Caballero et Lomepal

Casting : JeanJass, Nekfeu, Alpha Wann, Senamo, Ysha, Seven, Keroué et Hologram Lo’
Année : 2012
Au début des années 2010, Caballero, Lomepal, JeanJass ou Senamo ne sont encore que des jeunes rappeurs biberonnés aux disques de Nakk, Nubi ou Dany Dan. Pareil pour Nekfeu et Alpha Wann, même si le succès de 1995 et leurs performances remarquées au sein des Rap Contenders ont créé une hype autour de leurs noms. Pas suffisante, malgré tout, pour faire de « Le singe fume sa cigarette » autre chose qu’une curiosité au moment de sa sortie en 2012, sur la mixtape commune de Caballero, Lomepal et Hologram Lo’.
Le beat est old school, les flows semblent hérités des années 1990 et tranchent avec la voie qu’est en train de suivre le rap français, symbolisée un an plus tard par l’arrivée du premier album de Kaaris dans les bacs, « Or noir ». Il est toutefois intéressant aujourd’hui de se replonger dans ce morceau-fleuve, étalé sur plus de six minutes, qui acte avec des années d’avance la naissance des connexions franco-belges et annonce au passage les prémices d’une génération de rappeurs aujourd’hui adulés, habitués aux disques d'or, à la lumière des projecteurs et aux tournées à rallonge, mais toujours ravis de pouvoir à l'occasion se « partager un micro à dix ».

« Enfants du béton » de Néochrome Hall Stars

Casting : Seth Gueko, Alkpote, Brasco, Adès, Farage, Fis.L et N'dal
Année : 2006
Historiquement, Neochrome a toujours cherché à valoriser les démarches collectivistes, privilégiant les connexions entre des rappeurs au style singulier, hostiles aux convenances radiophoniques et profondément connectés à la rue. Tout cela s’entend illico à l’écoute des « Enfants du béton », extrait de l’album « Neochrome Hall Star » en 2006. Soit une époque où le label parisien vient de connaître un énorme succès grâce aux premiers projets de Sinik, où Seth Gueko vient de mettre une « patate de forain » à la tête du rap français et où la structure devient l’incarnation d’un hip-hop sans concessions, qui transpire la rage du bitume et fait de l’illégal un mode de vie.
« Enfants du béton » s’inscrit dans cette tendance (« C’est le son de la racaille, le son des braquages »), avec une production lourde, puissante, chargée en testostérone mais suffisamment aérée pour laisser s’exprimer la technique et l’art de la rime chirurgicale des fines plumes de l’écurie (Alkpote, Seth Gueko et Brasco, notamment). Qui s'y donnent à cœur joie, multipliant les rimes multi syllabiques, les homophonies et autres figures de styles maîtrisées par ces rappeurs qui réinventent alors la poésie française avec un schlass entre les dents.

« Dans le Club All Stars Remix » de TTC

Casting : Para One, Nikkfurie, Cyanure & Gérard Baste
Année : 2005
Teki Latex a toujours eu une âme de leader, l’envie de ne pas avancer seul, de s’entourer en permanence des artistes de son époque. C’était déjà le cas en 2000 lorsqu’il a co-orchestré avec James Delleck la mixtape « L’antre de la folie », qui réunissait alors les futurs cadors de ce que la presse a fini par nommer le rap alternatif. Avec le recul, il paraît donc évident que le Parisien ait choisi de revisiter le plus grand tube de TTC, « Dans le club », en compagnie d’autres rappeurs. Il y a d’abord eu le « San Andreas Remix », aux côtés de Stomy Bugsy, Sté Strausz et Singuila, que les gars ont enregistré dans l’idée de « produire notre classique West Coast à nous », mais aussi parce que la maison de disques leur fait croire que la présence d’artistes reconnus faciliterait l’entrée du morceau en playlist sur Skyrock. Para One, véritable chef d’orchestre de cet hymne à la débauche : « On passé 24 heures en studio pour virer les insultes car la version originale était beaucoup trop ghetto dans le son et dans les paroles pour passer à la radio ».
En 2005, vient également la version enregistrée auprès de Nikkfurie (La Caution), Gérard Baste (Svinkels) et Cyanure (ATK), tout aussi nerveuse et clubbesque que l’originale, mais désormais portée par d’autres représentants de cette fameuse scène alternative. Tout un symbole, donc.

« Panam All Starz » de Sniper

Casting : Diams, 113, Haroun, Diams, Sinik, G-Kill, Mano Kid Sam, Tandem, Salif et L’Skadrille
Année : 2003
Pendant le confinement, soucieux de ne pas se tourner les pouces et d’entretenir une connexion avec leur fan base, Tunisiano et Aketo ont lancé le « Paname All Starz Challenge », en référence à un de leurs morceaux cultes, extrait de l’album « Gravé dans la roche » et composé en 2003 aux côtés d’un casting 100% parisien : Diams, Sinik, 113, Tandem, Skadrille, Zoxea, Salif, etc. L’idée ? Que chacun de ces rappeurs se présentent avant de balancer quelques mesures dans le but de faire la promotion de leur département sur une production héroïque, typique du début des années 2000, d’Elio et Jo Le Balafré.
C’est 13Or qui prétend que les Yvelines, « c’est la capitale de la drogue comme Harlem » ; c’est Diams qui avance que dans l’Essonne, « t’es pas en lieu sûr » ; c’est Mac Kregor qui affirme que Mac Tyer et lui sont des mecs du 9-3, « des tireurs d’élite pour dilater ton rectum ». Le thème est classique, mais la formule fonctionne à merveille, notamment grâce à cette voix grave qui orchestre les débats et intervient entre chaque couplet avec deux questions devenues cultes : « C’est quoi ton blaze ? Vous représentez quoi ? ». Reste maintenant à savoir pourquoi, au sein d’un morceau où les départements sont systématiquement représentés par deux rappeurs, Haroun (Scred Connexion) est le seul MC à porter haut les couleurs du 77, pourtant l'un des plus mythiques du rap français.

« Pour ceux » de la Mafia K’1 Fry

Casting : Rohff, Rim'k, Karlito, Dry, AP, OGB, Demon One et Manu Key
Année : 2003
Des anecdotes autour de « Pour ceux », il y en a des tas. Certaines sont anodines, comme les mains gonflées de Rohff dans le clip, qui témoignent selon Mokobé du mode de vie alors rythmé par la violence du rappeur de Vitry. D’autres, en revanche, en disent long sur la genèse et l’importance de ce posse-cut d’anthologie. Il y a déjà la réalisation du clip, confiée au collectif Kourtrajmé, qui a fini par engendrer des centaines de vidéo du même genre dans les années 2000 – à commencer par « 93 Hardcore » de Tandem. Il y a aussi la présence du réalisateur Franck Gastambide dans le rôle du gars agressé par des chiens enragés à la fin de la vidéo. Il y a également la production de Jakus, comme une version hip-hopisée de la BO de « Rocky », composée en quinze minutes sur une Roland S-330 et pensée à partir d’un sample de « You Don’t Know » de Fire.
Enfin, il y a ces couplets mythiques du collectif du Val-de-Marne, pensés pour représenter les enfants d'immigrés, les délaissés, ceux qui « n'ont plus de chicots sur le côté ». Mais l’énergie du morceau est telle, les rimes sont à ce point ciselées que « Pour ceux » est devenu autre chose qu’une ode à la rue : c’est un symbole de la pop culture française, si bien que Rim’k est allé jusqu’à reprendre dernièrement les premières mesures de son passage sur l’album de PLK. L'ultime preuve, s'il en fallait encore une, que « Pour ceux » est à l'image de la Mafia K'1 Fry : violent, brut et suffisamment authentique pour traverser les époques.

« Les bidons veulent le guidon » de Time Bomb

Casting : X-Men, Pit Baccardi, Oxmo Puccino, Hi-Fi et Lunatic
Année : 1996
Au mitan des années 1990, alors que NTM vient de mettre « Paris sous les bombes » et qu’Alliance Ethnik se la joue « simple et funky », Oxmo Puccino se met à trainer avec les gars de l’écurie Time Bomb : Ali, Booba et Pit Baccari, notamment. Surtout, il a ce couplet qu’il a enregistré sur une boucle de piano concoctée par Vinh, un proche de la Scred Connexion. Ni une, ni deux, le Black Mafioso propose à ses amis, visiblement ravis et excités par le challenge, de l’accompagner sur ce morceau.
L’équipe (Ill et Cassidy des X-Men, Pit Baccardi, Hi-Fi et Lunatic) se retrouve alors chez Vinh, près de Gare du Nord, avec l’idée de se faire plaisir, mais sans ambition particulière. Le fait que ce titre ne soit présent sur aucun album en est une preuve. Le propos d'Oxmo en est une autre : « Ce morceau n’était destiné à rien. La preuve, nous n’avions même pas de titre et il a fallu sortir une phrase du couplet de Ill pour en trouver un ». « Les bidons veulent le guidon » ou l’histoire d’un freestyle sans titre, devenu l’incarnation de cette révolution dans l’élocution matérialisée par Booba quelques années plus tard.

« Bad Boys de Marseille » d’Akhenaton

Casting : Shurik'n, Kheops et la Fonky Family
Année : 1996
Il faudra un jour prendre le temps de remercier longuement Akhenaton pour tout ce qu'il a fait pour le rap marseillais. Parce qu'il est ce genre de producteurs qui vont jusqu'à hypothéquer leur maison pour financer l'enregistrement des albums en lesquels il croit (« Mille et un fantômes » de Chiens de Paille, « Block Party » des Psy4 de la Rime). Et parce que, à travers un studio comme La Cosca, les différentes BO dont il s'est occupé (« Taxi », « Comme un aimant ») et ses albums solo, Chill a toujours tout fait pour promouvoir le meilleur du rap phocéen. Quitte, parfois, à « niquer la musique de France » aux côtés de la Fonky Family et, par conséquent, à tisser d’évidentes passerelles entre deux générations de rappeurs marseillais.
À l'époque, la connexion est telle que tout ce beau monde décide d'enregistrer plusieurs versions des « Bad Boys de Marseille ». Mention spéciale à la partie 2, extrait de la réédition de « Métèque et mat ». Ne serait-ce que pour son clip, digne d'un long-métrage hollywoodien, son sample (« The Newness Is Gone » d'Eddie Kendricks) et son refrain accrocheur, qui permet alors à la FF de toucher le grand public et de professionnaliser sa démarche. « Se retrouver sur l’album d’Akhenaton, c’était un vrai coup à jouer, se rappelait Pone lors d’une interview à l’Abcdr du son. On ne pensait même pas qu’on pouvait aller aussi loin. C’était de l’ordre du rêve. »