Passage en revue de 10 collaborations qui ont consommé le mariage entre rap et variété.
© Red Bull Music
Musique

Rap & Chanson : retour sur une histoire d'amour

Du coup de foudre entre Alkpote et Katerine entre Alkpote et Katerine en passant par le featuring avorté Booba – Alizée ou encore l'improbable duo La Fouine – Patrick Bruel.
Écrit par Genono
Temps de lecture estimé : 11 minutesUpdated on
« La varièt' nous prend la tête, que ces bâtards prennent leur retraite » : en 1993, le Suprême NTM, principal représentant français d’un rap qui se veut contestataire et subversif, revendique fièrement son opposition à la scène musicale déjà en place. Vingt-sept ans plus tard, Jul, principal représentant d’un rap français qui s’est imposé entre-temps comme la musique préférée des Français, reprend « Nuits de folie » des Démons de Minuit, l’un des morceaux les plus représentatifs de cette variété qui a tant insupporté Kool Shen, JoeyStarr et DJ S. Derrière la symbolique de cette situation, une réalité indéniable : en passant du statut de genre marginal à celui de musique populaire, le rap a progressivement assimilé certains codes de la pop et de la variété française.
Alors qu'il prépare, selon toutes vraisemblances, une improbable collaboration avec Michel Polnareff, Jul est loin d’être le premier rappeur à miser sur l’amour du public français pour la variété. Avant lui, des artistes comme Ministère Amer, Disiz la Peste ou Mokobé se sont mêlés aux chanteurs français, ouvrant la voie à des collaborations aujourd'hui totalement acceptées comme celle d'Alkpote et Philippe Katerine. Passage en revue des unions qui ont consommé le mariage entre rap et variété.

Ministère Amer & Johnny Hallyday

À mi chemin entre N.W.A et Public Enemy, le Ministère Amer a été le premier groupe de rap français à véritablement raconter la vie en cité, avec une forme de militantisme parfois violente, qui a pu faire polémique. Entre « Brigitte femme de flic » et « Sacrifice de Poulet », Passi et Stomy Bugsy ont jonglé avec les scandales et les plaintes du Ministère de l’Intérieur. Avec un tel CV et un discours parfois radical, on imaginait mal le groupe rentrer dans le rang et travailler avec l’une des institutions les plus vénérées de la musique française : Johnny Hallyday. Pourtant, la connexion se fait bien en 2006, douze ans après le dernier album du Ministère, avec la participation de Doc Gynéco pour l'occasion.
Au cours d’une interview pour les Inrocks en 2014, Passi livrait quelques détails croustillants sur les coulisses de l’enregistrement de ce titre, expliquant avoir enfin vu le côté « blouson noir » de Jojo. Invités sur le bateau du rockeur, les trois rappeurs assistent à une scène digne des Sopranos : « À un moment du repas, Johnny s’arrête et me dit : “Stomy, appelle-moi Gynéco. Je lui fait à manger et il ne vient pas ? » Du coup Gynéco s’est pointé et là, Johnny l’a mis à l’amende: « Regarde-moi dans les yeux Gynéco ! Je te fais à manger et tu ne viens pas ! ».

Disiz la Peste & Yannick Noah

Malgré une baisse significative de sa popularité ces dernières années, Yannick Noah est longtemps resté la personnalité préférée des français. Ancien champion de tennis, sa reconversion en chanteur de variété au début des années 1990 est un véritable succès. Dès ses débuts dans la musique, il revendique sa double-culture et ses origines camerounaises, des thématiques qui aboutiront à l’album « Métisse » en 2005, sur lequel il invite Disiz la Peste.
Au sommet de sa gloire à l’époque, Disiz vient d'enchaîner trois albums dont un sorti exclusivement au Sénégal, tient le premier rôle du film « Dans tes Rêves », et s’apprête à publier « Les Histoires extraordinaires d’un jeune de banlieue ». La rencontre entre les deux artistes divise : si le titre est un succès populaire, certains, en particulier dans le milieu du rap, critiquent son discours candide et idéaliste.

Booba & Alizée

Du sample de « Mistral Gagnant » emprunté à Renaud sur « Pitbull » à son featuring avec Christine and the Queens, Booba n’a jamais rejeté sa filiation avec la chanson française. En 2013, il a même composé un titre pour Alizée, que la chanteuse a finalement refusé, comme elle l’expliquait à l’époque au micro de France 4 : « Il m’a proposé un texte qui était plutôt cool mais venant d'un milieu artistique musical qui ne me correspondait pas, mais ça aurait pu être une jolie parenthèse. Il voulait apparaître dans le clip, ça aurait pu faire une belle rencontre ».
Booba voit cependant les choses différemment, et explique ce refus à sa manière en 2019 chez France Inter : « Elle était en chute libre avec son petit copain, c'était au moment où elle était en train de couler... Du coup, ça ne s'est pas fait ». Quelle que soit la vérité au sujet de ce refus, le titre est finalement récupéré par le rappeur, pour aboutir au single « Arc-en-ciel », un morceau qui dénote forcément au sein de sa discographie, aussi bien sur la forme (qui aurait cru qu’on pourrait danser un slow sur du Booba un jour ?) que sur le fond (une chanson d’amour, sans la moindre vulgarité).

La Fouine & Patrick Bruel

Superstar du rap français à l’apogée de sa carrière, La Fouine a progressivement perdu en popularité à partir de 2012, entre choix artistiques discutés et communication parfois incertaine. Qu’il s’agisse d’une coïncidence ou d’une relation de cause à effet, l’année 2012 correspond à la sortie d’un inattendu featuring avec Patrick Bruel, dont l’étrangeté tient plus dans le contenu du morceau et son exploitation que dans l’improbabilité de la connexion entre les deux artistes.
« Maux d’enfants », écrit comme un texte engagé contre le cyber-harcèlement et les dérives d’internet (et donc, une initiative plutôt louable), délivre selon le journaliste Thomas Blondeau « un fabuleux témoignage de la France réac’ des années 2010 à usage des générations futures ». Le clip, publié un an et demi après l’album de Patrick, est plutôt ambitieux, tourné en plusieurs parties avec un concept interactif, mais sans la présence de La Fouine.

Alkpote & Philippe Katerine

Preuve que le mariage entre rap et chanson française est désormais accepté par tous, la connexion Alkpote – Philippe Katerine a résonné en 2019 comme une évidence. Ces deux personnages hauts en couleurs, aux univers décalés flirtant entre vulgarité gratuite et humour morbide, se sont parfaitement trouvés malgré obsession sexuelles opposées : Philippe Katerine s’est avoué « excité par les odeurs qui proviennent de l’intérieur du corps », tandis qu’Alkpote a rappé « j’suis réticent si t’as la raie qui sent ».
L’histoire d’amour et les deux artistes a d’ailleurs débuté sous les yeux des auditeurs de Skyrock, un beau soir de décembre 2017 pendant la semaine Planète Rap de Lomepal, avec un Philippe Katerine ébahi découvrant alors le personnage d’Alkpote en direct. Un moment véritablement émouvant, entre l’étincelle dans les yeux du chanteur et cet instant où Alkpote se retient au dernier moment de lâcher un « pute » alors que Katerine chante sur sa grand-mère décédée. L’amitié, nouée rapidement, aboutit quelques mois plus tard au titre « Amour », avec son clip complètement fou et sa thématique pas tout à fait incestueuse mais presque.

Maitre Gims & Kendji Girac

Un featuring Maitre Gims – Kendji Girac, c’est l’équivalent d’une fusion entre Godzilla et King Kong ou d’une entente secrète entre Poutine et Trump : qu’on le veuille ou non, personne ne pourra en réchapper. Déjà maintes fois connectés ces dernières années, que ce soit en télévision (L’aventure Robinson sur TF1), sur scène (Kendji invité au Stade de France de Gims), ou sur des reprises (« Bella ») les deux artistes, parmi les plus gros vendeurs de disques en France, ont d’ores et déjà prévu d’enregistrer un véritable duo, annoncé « sur un prochain album ou une réédition ».
Le rappeur de la Sexion d’Assaut n’en est pas à son coup d’essai avec la variété française ou, au sens plus large, la musique pop, puisqu’il a déjà collaboré, entre autres, avec Vianney ou John Mamann, ou, à l’internationale, avec Sting ou Shaggy. Avant Gims, peu de rappeurs avaient assumé à ce point leur ouverture pop, et porté le rap français si loin de ses contrées d'origine.

Mokobé & Arielle Dombasle

Clairement l’une des connexions les plus improbables de toute l’histoire du rap français, à tel point que Mokobé lui même a eu du mal à y croire, selon une interview donnée pour Closer en 2011 : « Quand j'ai été appelé, je n'y croyais pas. Je suis allé sur Google. J'ai tapé le nom d'Arielle, vérifié l'orthographe et devant sa photo je me suis dit waow ! Pour moi c'est comme un ovni ». Arielle, de son côté, justifie son désir de travailler avec le rappeur du 113 par les sonorités « africaines » de la chanson, souhaitant travailler avec un artiste qui puisse « représenter ce continent mais pas traditionnel, plutôt urbain ».
Enregistré en 2011, à une époque où le rap français rejette encore majoritairement le monde de la variété, il constitue à la fois un évènement singulier, et une connexion avant-gardiste qui ne fait que présager du futur mariage entre genres musicaux. À l’époque, Mokobé comprend d’ailleurs très vite l’ambition de ce titre : « Nous aussi on peut avoir peur des artistes de variétés. Un tel duo est super important pour le rap. La musique a toujours fait mieux que la politique pour rassembler. »

Orelsan & Benjamin Biolay

Plus orienté chanson française aux accents rock que variété pure et dure, Benjamin Biolay fascine le rap français (Joe Lucazz chante par exemple « j’fais ressortir ton côté timp’, Benjamin Biolay ») autant qu’il a été fasciné par le rap : il a ainsi collaboré avec des profils comme Oxmo Puccino, le 113 ou encore Orelsan. Le featuring avec ce dernier reste l’un des moments forts de l’album « Vengeance », paru en 2012, à tel point que les deux artistes ont prolongé la vie du morceau à de nombreuses reprises : montés sur scène ensemble au Printemps de Bourges, aux Francofolies, ou encore à la Cigale, tous deux ont tenu à faire exister leur collaboration au delà du studio.
En revanche, et à l’exception d’Orelsan, Benjamin pourrait ne plus travailler avec des rappeurs à l’avenir. Récemment interviewé par Télérama, il déplore l’évolution du milieu rap : « Maintenant, ce ne sont plus que des équipes avec un beatmaker, un topliner, et des couches que l'on superpose par pur calcul. Du travail d'usine, à la chaîne. Fatalement creux [...] Ces nouvelles stars me font penser aux Miss Météo qui avaient été promues par Canal+ comme l'avenir du cinéma français. Elles ont juste piqué les rôles de vraies comédiennes. »

Passi & Calogero

Décrié par une frange des auditeurs de rap au moment de sa sortie en 2004, « Face à la mer » a résisté à l’épreuve du temps et reste aujourd’hui un bon exemple de fusion grand public entre musique pop-rock et rap. Derrière la réussite de ce tube, qui contribue à porter l’album de Calogero au disque de diamant, et remporte un NRJ Music Award en 2005, les deux artistes livrent un discours engagé et bien plus profond que ce que l’idée de hit radiophonique peut laisser croire.
Alors que Passi raconte la misère des banlieues et des zones abandonnées (« c’est la sécheresse sur une terre où l'on ne cesse de semer, tristesse dans des yeux qui ne peuvent pleurer »), Calogero, évoque l’absence de privilèges de son enfance et les douleurs liées à l’inégalité sociale (« face à la mer, j’aurais dû grandir »). Pour étayer ce parallèle, le clip est tourné à Boulogne-sur-mer, entre la cité sensible Damrémont et la plage.

Oxmo Puccino & Salvatore Adamo

Peu de rappeurs français peuvent se vanter d’avoir collaboré avec autant de chanteurs français qu’Oxmo Puccino : qu’il soit à l'initiative des collaborations ou qu’il ait été invité, on l’a ainsi vu aux côtés de Bernard Lavilliers, Benjamin Biolay, Olivia Ruiz, Christine and the Queens, a repris des titres de Léo Ferré ou Alain Souchon, et s’est logiquement vu surnommer le « black Jacques Brel ». En 2010, on le retrouve même sur l’album de Salvatore Adamo, « De toi à moi », sur une tracklist où il côtoie Chantal Lauby, Christophe, ou encore la soprano Anne-Catherine Gillet.
Malgré son âge et une expérience énorme (entre les albums français, étranges, les compilations et les lives, sa discographie est proche de la centaine de disques publiés), c’est Adamo qui s'est dit impressionné par le rappeur : « C'est après avoir écrit Rendez-vous sur Gliese que j'ai senti le besoin d'y avoir un rappeur, un éclat. On m'a dit que sans me connaître, Puccino avait dit des choses gentilles de moi. Je l'ai vu à la télé. Il est immense, il m'a un peu pris sous son aile ».
Télécharge ici et gratuitement l’application Red Bull TV pour profiter de nos vidéos, directs et événements de musique et de sports extrêmes sur tous tes écrans !