La productrice et DJ de 27 ans, Le Kaiju, fait de la musique pour recoller les morceaux.
© Malo Lecollinet
Musique
Le Kaiju : terrifique mignonnerie
Depuis des lieux reclus du Grand Paris, la productrice et DJ de 27 ans, Le Kaiju, fait de la musique pour recoller les morceaux. Avec Cuteness, iel réconforte les cœurs dans un décor tumultueux.
Écrit par Marie-Maxime Dricot
Temps de lecture estimé : 5 minutesPublished on
C’est dans le XVIIIe arrondissement, non loin de La Chapelle, que je rencontre Le Kaiju. Avec son énergie viscérale et sentimentale qui jaillit jusqu’auprès de celleux qui n’ont guère l’habitude de fréquenter les clubs et les squats arty de la banlieue Nord, iel offre une porte d’entrée à un monde empreint de désinvolture. Une bulle d’air pour les « monstres » (traduction littérale japonaise du substantif kaijū utilisé par l’artiste iel-même) de notre société, qui a le mérite de nous décloisonner : « Il ne nous enferme pas dans les cases trop prédéfinies. C’est un terme qui, aux oreilles des gens qui ne côtoient pas les milieux undergrounds, crée de la curiosité », précise la productrice.
Née dans une famille d’artistes et initiée à la musique dès son enfance, Le Kaiju intégrera, après son bac, la Berklee College of Music (Boston, États-Unis), grâce à l’obtention d’une bourse, pour compléter sa formation de solfège rythmique et d’harmonie qu’iel avait suivi au conservatoire de Paris XVII. Là-bas, iel étudiera le sound design, la production électronique, la batterie jazz, avant de tomber dans le hip-hop en découvrant J Dilla. Mais Le Kaiju ce n’est pas simplement le jazz et le hip-hop. La culture club grandit en iel, comme une spore dans son environnement le plus optimal, et ensemble iels avancent main dans la main, depuis de nombreuses années : « Quand j’étais jeune, je faisais de fausses cartes d’identité pour aller voir Ben Klock et Marcel Dettmann au Rex Club ou à La Machine. » Bien que fascinée par la musique, l’ado se verra vite confrontée à une réalité qui est loin d’être la sienne : « Je sentais que je n’étais pas à ma place, parce que c’étaient des soirées très straight. Il n’y avait pas les interactions et la liberté que j’ai trouvées plus tard dans les lieux queer. C’étaient des mecs qui venaient pour pécho des meufs. » Un inconfort tangible qu’on retrouve dans trop d’espaces de fêtes, selon iel.
La jeunesse de la productrice n’était pas toute rose : « On me traitait beaucoup de tapette, ça a été la source de beaucoup de victimisation et de harcèlement... Quand il y a eu un trop plein d’agressions et de pression, je me suis cachée avec mes TNs et mes capuches. J’étais totalement renfermée sur moi », me confie l’artiste.
La productrice et DJ de 27 ans, Le Kaiju.
Le Kaiju© Malo Lecollinet
Ici, on se respecte malgré la violence.
Le Kaiju sur l’environnement dans lequel iel évolue: dur, queer, populaire et solidaire.
Le Kaiju se souvient d’une période salvatrice, son premier confinement à Brooklyn : « Je n’avais plus de travail, j’étais face à moi-même et je me suis mise à écrire des chansons d’amour avec les garçons. Je recommençais à mettre du make-up parce qu’il n’y avait plus de monde extérieur. » Des circonstances qui déclencheront chez la jeune adulte le besoin de faire son coming-out auprès de sa sœur, Eloi, dès son retour en France lors de la deuxième vague du Covid. Elle l’introduira à l’univers underground queer du Grand Paris et bien plus. « C’est elle qui m’a poussée à faire mes projets et qui m’a introduite au milieu queer. Elle m’emmenait au Carbone 17 (Aubervilliers, ndlr)... Elle m’a permis d’intégrer une communauté où j’étais vue. »
Frappée par la relation du son et de l’espace, Le Kaiju se met en tête de faire de la musique qui rassemble l’ensemble de ses univers (jazz, hip-hop, queer, club, underground), pour ne plus avoir à fragmenter sa personnalité. D’autant plus qu’il y avait une place à prendre autour des musiques breakées : ghettotech, uk garage, footwork, sous-exploitées en France. « Pour moi c’était intéressant de les transformer dans nos espaces, car au-delà de la signature de ces musiques, tout ce qu’il y a autour est passionnant. C’est une expérience humaine et sociale où la scène devient un endroit d’horizontalité qui me permet de créer du lien avec des gens que je n’ai jamais rencontrés. »
Après un premier EP remarqué, Violence, qui introduit sa réflexion autour de l’environnement au sein duquel iel est parfois victime et parfois actrice, Le Kaiju nous livre son deuxième EP, Cuteness, qui semble adoucir toute la véhémence du monde. Ces projets semblent s’opposer mais, finalement, pourraient aussi ne faire qu’un. Tous deux s’inscrivent dans une continuité : un chemin qui mène à la rédemption sur lequel on croise le pardon et l’émancipation. L’artiste fait référence à la brutalité de son quartier, la Goutte d’Or, avant d’ajouter : « En passant mes nuits dans les clubs queer et les squats du Nord de Paris, je me suis rendue compte que le XVIIIe avait une âme très forte. Il y a beaucoup de diversité et de personnes qui subissent la violence institutionnelle. Quand je prends le métro à La Chapelle, si je peux être discriminée avec mon identité, les autres aussi. » Imprégnée par son quartier et victime d’agressions à Marx Dormoy, iel fera de cette station de métro un titre (sur l’EP Violence), afin de se réapproprier cet espace.
Le son de Le Kaiju traduit l’anxiété qu’a produit sur iel le fait d’être tantôt persécutée, tantôt épanouie dans ce quartier qu’iel a choisi. « Ici, on se respecte malgré la violence », affirme l'artiste. Paris XVIII, un savant mélange entre l’immigration et la queerness : une relation à l’intersection de la dévotion et de l’agitation. « J’ai l’impression que notre communauté queer, dans ce décor chaotique, apporte beaucoup de lumière », laisse entendre la productrice.
Cuteness bientôt disponible sur toutes les plateformes.
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